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ILTVSW guest star (VF) : Paul Abbott créateur de #NoOffence

6 Mar

Paul Abbott, le créateur de Shameless, Hit & Miss et No Offence, était en France en septembre dernier à l’occasion du Festival de la fiction de La Rochelle.

ILTVSW a eu la chance de le rencontrer et d’évoquer l’écriture et la peur avec lui.

© Channel 4

 

ILTVSW. Au sujet de No Offence, vous avez dit que vous vouliez que la série soit drôle mais ne soit pas une comédie. Qu’entendez-vous par là ?
Paul Abbott. Lorsque nous avons créé la série, nous avons écrit de multiples versions. Elles étaient très drôles mais vulgaires. Elles n’existaient que par les gags. La comédie est un acte très conscient de lui-même. Nous avons essayé de gommer cette dimension (rires)… C’est là que réside la différence, selon moi.

ILTVSW. Vous considérez que trop de gags est mauvais pour l’écriture ?
Paul Abbott. Oui, s’ils sont forcés. Et cela arrive. Mais je ne crois pas que les gags rendent une scène drôle alors que les blagues, oui. Tout est dans la clarté de l’attitude. Nous avons coupé des tonnes de gags. Ils faisaient de la série un objet trop comédie. Cela l’empêchait d’être suffisamment réaliste pour être drôle. La vie est bien plus puissante que les gags. Nous avons essayé d’introduire l’humour dans la nature du comportement de nos personnages et pas dans leur vocabulaire.

 

Vous ne pouvez pas apprendre aux gens à entendre les autres.

 

ILTVSW. Donc, vous passez beaucoup de temps à vous promener en observant les autres ?
Paul Abbott. Apparemment car j’ai l’impression d’absorber beaucoup. Il ne s’agit pas de reproduire littéralement des choses vues dans la vraie vie mais d’essayer de définir quelque chose que l’on a aperçu sur le visage de quelqu’un dans le bus, par exemple. Je me dis : « Allez, essaye d’écrire cela. Ecrire quoi ? Il ne s’est rien passé. Mais allez, écris-le. Fais-le sortir de tes doigts comme tu l’as imaginé. » C’est difficile. Mais je m’entraîne tout le temps.

ILTVSW. Vous écrivez depuis trente ans, êtes-vous devenu meilleur ?
Paul Abbott. J’ai peur tout le temps. Vous pouvez toujours vous planter. Et puis sans la peur, vous n’êtes pas suffisamment courageux. Ecrire me terrifie toujours car, en principe, quand je commence un nouveau projet, je l’ai déjà vendu. Pour affronter cette peur, il faut chérir le moment. Et je crois que je sais très bien faire cela aujourd’hui. Il faut constamment se nourrir et ne pas être incorrect avec les gens, avec votre public. Cela nécessite de l’entraînement. Je crois que c’est dans ma nature. Je suis issu d’une famille nombreuse. Je n’étais pas très brillant. Mais j’étais le plus brillant (rires). Cela force à garder les choses pour soi. Et garder les choses pour moi m’a fait exploser. Une fois que j’ai appris à écrire, cela été comme brûler du carburant, c’était génial. Et plus j’étais honnête dans ma démarche, plus j’étais inspiré car cela aide à devenir meilleur auteur. Je ne parle pas ici de l’architecture du storytelling que tout le monde peut apprendre. Mais tout le monde ne peut pas apprendre le dialogue. Vous ne pouvez pas apprendre aux gens à entendre les autres. Et à synthétiser cela pour un autre. Une chose est d’entendre un truc drôle et une autre est d’arriver à l’écrire pour le raconter. C’est ce qu’il y a de plus difficile pour devenir un bon auteur.

ILTVSW. Il y a les bons jours et les mauvais… Comment y faites-vous face ?
Paul Abbott. Il m’arrive de ne pas avoir envie d’écrire. Mais comme j’ai déjà été payé, je dois le faire (rires). Cela dit, je crois que j’ai écrit chaque jour depuis l’âge de quinze ans. D’une manière ou d’une autre. Des histoires, des sketchs ou des trucs pour moi. J’ai eu la chance de vendre beaucoup de projets et de les voir se monter. 80 % de ce qu’écrivent les auteurs ne voit jamais le jour. Je suis extrêmement chanceux.

 

Si vous pouvez couper un tiers, vous pouvez couper un tiers supplémentaire. 

 

ILTVSW. Etes-vous le genre d’auteur qui écrit beaucoup et jette beaucoup ? 
Paul Abbott. Il y a deux jours, j’ai écrit dix pages en une seule journée. Je me suis dit : « Wow, dix pages ! » Mais, seules cinq d’entre elles étaient bonnes au maximum. De nombreux auteurs auraient gardé les dix. Pourtant, il faut couper. Resserrer sa voix. Si vous pouvez couper un tiers, vous pouvez couper un tiers supplémentaire. Il faut tailler. Il y a une mélodie que l’on essaye de communiquer au public. Elle est meilleure guide que les mots. Vous pouvez sentir quand les choses se passent bien. L’autre jour, j’écrivais une scène et j’ai lancé : « Wow, c’est fantastique ! » Je n’aurais pas pu avoir l’air plus vantard. Mais je ne m’adressais à personne. J’étais tout seul. Et je n’arrêtais pas de répéter : « Good boy, good boy ! » Il s’agissait d’une scène ennuyeuse que je devais écrire et c’est devenue l’une de mes scènes préférées. Pour le premier épisode de No Offence, j’ai écrit dix versions. Nous n’arrivions pas à trouver la bonne.

ILTVSW. Comment savez-vous que vous n’avez pas terminé ?
Paul Abbott. Parce que cela ne sent pas bon. Et que vous ne faites pas confiance à votre travail. Donc vous poussez jusqu’à une dixième version. C’est une version de trop et vous faites marche arrière. C’est une excellente discipline. J’écris dix versions de chaque scène. D’une manière ou d’une autre. En ce moment, je modifie tout le début de la deuxième saison. J’ai pris un mauvais départ et je n’arrive pas à trouver de solution car il est profondément brodé dans la série. Je me suis demandé : « Et si je coupais simplement les vingt premières pages pour regarder ce qui se passe ? » Cela m’a libéré. Et permis de voir ce que je pouvais inventer d’autre. Je suis bon à l’invention. Mais je pense que les auteurs qui éditent leur propre travail sont trop peu nombreux. J’ai évidemment besoin d’éditeurs. Je leur confierais mon coeur. Mais il faut toujours éditer soi-même avant de confier son travail. Sinon, techniquement ils deviennent les auteurs. Car ils effectuent le travail prémonitoire de sélection. Il y a beaucoup d’auteurs paresseux qui rendent des scripts de 100 pages et demandent à un autre de trouver des solutions. C’est à eux d’en trouver. Aux Etats-Unis, un truc pareil est inconcevable. L’agent d’un auteur même réputé n’enverra jamais un script de plus de 120 pages. Cela me plaît assez. J’aime le processus d’édition. Et je n’aime pas qu’on me dise quoi faire même quand c’est moi qui le dit. Les gens qui travaillent à mes côtés demandent souvent que l’on m’enlève le clavier. Ils essayent de me rassurer en disant que le boulot est terminé, que je dois rendre le script.

 

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ILTVSW. En vous retournant sur votre carrière, vous pensez que vous auriez pu faire du meilleur boulot ?
Paul Abbott. Ouais. Même si de manière étonnante, une partie importante du travail tient encore debout. Si l’écriture est honnête du point de vue humain, elle résiste au temps. Cela dit, ouais, il y a des tonnes de choses que j’aurais pu écrire différemment. Vous apprenez de vos propres erreurs.

ILTVSW. Qu’est-ce l’honnêteté dans le processus d’écriture ?
Paul Abbott. Donner les meilleures répliques à son ennemi car cela pousse à écrire à sa hauteur et donc à être honnête. Beaucoup d’auteurs raconteront l’histoire d’une femme victime d’un accouchement de son point de vue à elle, par exemple. Pourquoi n’essayent-t-ils pas de le raconter du point de vue de la sage-femme ? Soyez la sage-femme. Donnez-lui le meilleur texte. Ensuite, vous serez obligé d’écrire à sa hauteur. Et vous serez surpris de constater combien vous pouvez être honnête sans même en avoir conscience. Il y a un truc à faire. Ecrivez la pire des choses que l’on peut dire à votre sujet et mettez-là dans la bouche de la personne dont vous aimeriez le moins qu’elle soit au courant de cette information. Vous n’avez bien sûr besoin de montrer cela à personne. Faites-vous peur. Mettez le document de côté pendant un mois. Puis écrivez lui en réponse. Vous apprendrez ainsi à utiliser la peur comme un carburant. Quand vous approchez de cet état, vous tremblez d’excitation. Je teste ce de quoi je suis fait tout le temps. Tout le temps. Je me suis effrayé avec des choses que des gens ont dit à mon sujet. Leur répondre, se hisser à la hauteur, nécessite de se forger des muscles que l’on ne peut pas perdre. Une fois que vous l’avez fait, vous êtes accro et vous recommencez. Trop peu d’auteurs le font.

ILTVSW. Est-ce la raison pour laquelle vous n’êtes pas un auteur de genre ?
Paul Abbott. Ouais. Vous pouvez choisir d’écrire le truc d’après ou c’est lui qui vous choisit. Quand vous travaillez beaucoup, vous n’avez pas à choisir ce que vous allez écrire après. Je ne sais pas à quoi cela ressemblerait de ne pas pas le savoir car j’ai beaucoup trop d’idées. Je pense que l’énergie que vous mettez à être un autre dans un drama fait de vous quelqu’un de meilleur. Si vous faites preuve de clémence pour la personne que vous aimez le moins dans l’histoire, vous devez l’écrire encore mieux. Quand je disais que l’on sait quand les choses vont bien, j’adore quand je m’effraie un peu et que j’écris ensuite avec une absolue endurance.  Peut-être que je détesterais ces pages cinq jours plus tard mais je me suis emparé de mes peurs personnelles pour les utiliser comme des outils pour raconter mon histoire. Sans ces peurs, il n’y a pas de bonne scène. Cela ne signifie pas que je me terrifie tout le temps. Mais il est indispensable d’avoir respectueusement peur de quelque chose. J’ai mis longtemps mais aujourd’hui j’ai respectueusement peur des histoires. Rien n’est donné. Je n’ai pas de hobbies. J’écris tout le temps.

Titre : No Offence (2015 –    )
Créateur : Paul Abbott
Cast : Joanna Scanlan, Elaine Cassidy, Alexandra Roach
Chaînes : Channel 4, France 2 (France)

© 2016 ILTVSW – La reproduction partielle ou entière de cet entretien n’est pas légale sans l’accord préalable de ILTVSW

La semaine prochaine dans ILTVSW… Oups, pas encore tranché, désolée.

ILTVSW guest star (VO) : Paul Abbott creator of #NoOffence

28 Fév

Paul Abbott, the creator of Shameless, Hit & Miss and No Offence, was in France last September at the TV Festival of La Rochelle.

ILTVSW was lucky enough to seat with him and talk about writing & fear.

© Channel 4

 

ILTVSW. About No Offence you said you wanted it to be funny but not to be a comedy. What do you mean by that ?
Paul Abbott. We kept making versions of it. They were very funny but it was just rude. Because it was just for the jokes. Comedy is selfconscious and we were trying to « deselfconsciousize » (laughs)…  I think that’s the difference.

ILTVSW. Do you think that too many jokes are bad for the writing ?
Paul Abbott. Yeah, if they are forced. They can be. But, I don’t think the gags make a scene funny, the jokes do. The clarity of the attitude is what makes it funny. We cut loads of gags out. They made it so comedic it stopped being realistic enough to be funny. Life is much stronger than gags. I think we were trying to build the humour into the behavioural side of their nature not in the vocabulary.

 

You can teach people to ear people.

 

ILTVSW. So you spend a lot of time walking around watching people ?
Paul Abbott. Seemingly because I seem to have absorbed quite a lot. But not litteraly picking things from real life but trying to define, for example, just something you see on someone’s face on a bus… Come on write that. Write what ? Nothing happened. But write it, write what you said. Make it come out of your fingers the way you thought it. That’s tough. But you can. And I pratice all the time.

ILTVSW. You have been writing for thirty years did you get better at it ?
Paul Abbott. Scared. Always. You can always blow it. And you can’t be brave if you aren’t scared. It still terrifies me because normally by the time I seat down to write I have sold it. To deal with it I just relish it. I got really good at this. Keep feeding yourself and don’t be rude to people, to your audience. In practicing also. It is in my nature, I am coming from a big family. I wasn’t very bright, I was just the brightest one (laughs). So you learn to keep things to yourself. And keeping things to myself made me explode. Once I learned to write, it was just like burning fuel, fantastic. And the more purely burned honestly, the more fuel, because you just get better at it. At the glue. It is not the architecture of the storytelling, I think anybody can learn storytelling but you can’t teach dialogue. You can’t teach people how to ear people. And to synthesize that for someone else. It is one thing to ear something funny and it is another thing to write it down to tell it to someone else. That is the hardest part of being a good writer.

ILTVSW. There are good days and bad days… How do you deal with that ?
Paul Abbott. Sometimes I just don’t want to do it. But usually you have been paid already so you have to (laughs). I think I have written every single days since I was fifteen. In one way or another. Stories, sketches or things for me. I have had the pleasure of selling a lot of work and see my work coming back. 80 % of what writers write never get seen. I am really fortunate.

 

If you can cut a third you can cut a third again. 

 

ILTVSW. Are you the kind of writer that writes a lot and throw a lot away ? 
Paul Abbott. Two days ago I wrote ten pages in one day. And you go : « Wow, ten pages ! » But it’s worth five at the most. A lot of writers will keep the ten. But I think you have to cut it. Tighten your voice. If you can cut a third you can cut a third again. You just keep triming and tightening your voice. There is a melody that you are trying to communicate to the audience. I think that’s a better guidance than the words. You can smell when it’s going well. I wrote a scene the other day and I said : « Wow, it is fantastic ! » I couldn’t have look vainer. But I wasn’t saying that to anybody else. It was just me. There was nobody. And I kept saying : « Good boy, good boy ! » It was a boring scene that I kind of had to write and it is now one of my favorite scenes. I did ten full drafts of episode one for No Offence. We just didn’t get it right.

ILTVSW. How do know that you are not done ?
Paul Abbott. Because it smells wrong. It just feels wrong and you don’t trust it. So you go to ten. It is one draft too far and then you pull back. I think that is really good discipline. I write about ten versions of each scene. One way or another. I may just be changing the beginning of the entire series two. I have done something wrong and I can’t work it out it is too tighly embroidered. And I go : « What if I just take the first twenty pages off the script and see what happens there ? » It makes me feel liberated. I can see what else I can come up with. I am good at invention but I don’t think enough writers edit their own work. I need editors. I trust them with my heart. But you should edit as well before it gets to them. Otherwise they are technically the writer. If they are the one doing the selective premonition to your work. A lot of lazy writers just give you a hundred pages script and say you work it out. No YOU work it out. In America, you are not allowed to deliver long. Even with a reputation if you deliver a script which is over 120 pages your agent won’t even send it. I quite like that though. I like editing myself. I don’t like to be tolded what to do even by myself. Often my people say : « Take the keyboard of him. It is finished. It’s fine. » At some point the script has to be taken from me.

 

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ILTVSW. When you look back do you have the feeling you could have done better work ?
Paul Abbott. Yeah. But surprisingly a lot of the work still stands up. Because if the writing is humanely honest it is timeless. But yeah, loads of things I could have done differently. You just keep learning by your own mistakes.

ILTVSW. What is honesty in the writing process ?
Paul Abbott. Give your enemy the best lines because then you have to write up to them and I think being honest. A lot of writers will tell a story about a woman who has been a victim of childbirth ta da da… as a victim of a childbirth but why don’t they try writing it as the midwife. Be the midwife. Give her the best lines. You writing your own story have to write up to her high calibre. And you surprise yourself by how true you can be without knowing it. There is a thing you can do. You write the worst thing that can ever be said about you and you put it in the voice of the worst person you would ever want to know that information. You don’t have to show this document to anybody else. Scare yourself. Put it away for a month. And write the answers back and you will learn to use fear like fuel. When you know that you have gotten really close to that it makes you crackle with excitment. You are testing what you are made of all the time. All the time. I have scared myself with some lines that some people have said. Writing up to it is like building muscles that you can’t lose. They can’t evaporate. Once you have done that you have become addicted to trying again. Not enough writers do that.

ILTVSW. Is it the reason why you are not a genre writer ?
Paul Abbott. Yeah. You can choose to write something next or it chooses you. When you do a lot of work you don’t have to decide what you are going to write next. I don’t know what it would feel like not to know what I would be writing next because I get too many ideas. I think the amount of power you put in being another person in a drama just makes you a much more decent human being. If you are showing mercy for the person you least like in a story you have to write it better. When I talked of knowing when things were right, you know, I love it when you have scared yourself a little bit and you have written back with absolute stamina. You might hate those pages in five days time. But you have taken your personal fears to use as tools for storytelling. Without the fear, you don’t get the good scene. I don’t mean I terrify myself all the time. But you have got to be respectfully scared of something. It took me a long time but I have learned to be respectfully scared of stories. Nothing is a given. I haven’t got a hobby. I am always writing.

Title : No Offence (2015 –    )
Creator : Paul Abbott
Cast : Joanna Scanlan, Elaine Cassidy, Alexandra Roach
Networks : Channel 4, France 2 (France)

© 2016 ILTVSW – not to be reproduced without a prior authorization from ILTVSW

Next week in ILTVSW, the French version.

ILTVSW guest stars: Marc Herpoux et Hervé Hadmar, les co-créateurs des Témoins

22 Mar

FRA/ENGLISH

Marc Herpoux et Hervé Hadmar, co-créateurs de la série Les Témoins, ont accepté l’invitation de ILTVSW à l’occasion de son lancement sur France 2. De la naissance de leur dernier projet, à leur regard sur le travail, en passant par leur héroïne féminine jusqu’à la réalité de la création en France aujourd’hui, ils se livrent dans une interview franche et fleuve.

To my readers, exceptionally ILTVSW will only be French speaking this week. The French creators Marc Herpoux et Hervé Hadmar, of the TV show Les Témoins, (France 2) a cop procedural thriller questioning the principle of the ideal family, are the guest stars of the blog today. But as soon as next week things will be back to normal meaning French & English.

ILTVSW. Vous êtes aujourd’hui des auteurs reconnus à la fois par la critique et le public sériephile. Une série Hadmar-Herpoux n’est donc plus une surprise, c’est un événement. Comment travaille-t-on quand tout le monde vous attend ?
Marc Herpoux. La préoccupation première est de ne pas se répéter. Avec Les Oubliées et Signature nous étions allés vers ce que nous savions faire. C’est-à-dire une proposition contemplative. Nous partageons tous les deux le goût pour les atmosphères, les climats, la plongée dans la tête d’un personnage puis son exploration. D’abord, je ne sais pas si on nous laisserait encore faire ce type de travail. Par ailleurs, nous n’avons pas envie de nous répéter comme certains auteurs qui au bout du quatrième, cinquième ou sixième film continuent à ne faire que ce qu’ils maîtrisent. Nous avons envie de nous mettre en danger. De nous créer des challenges. Avec Les Témoins le challenge était d’aller vers un genre plus populaire tout en restant dans notre univers que je définirais par le conte. Nous n’irons jamais vers des choses hyper réalistes car cela ne nous ressemblerait plus.
Hervé Hadmar. Nous essayons de surprendre à chaque fois. Nous ne sommes jamais tout à fait là où l’on nous attend. Avec Pigalle, on devient un vrai duo. La série est un succès public et un succès critique. Vient ensuite Signature. Énormément de gens s’attendaient à la suite de Pigalle. Or nous n’avons pas refait un Pigalle qui se passerait à Montparnasse ou à Belleville, ou une autre série chorale sur un ton qui pourrait mélanger le drame et la comédie. Nous sommes allés vers un truc hyper contemplatif. Certains ont détesté. D’autres ont adoré. Avec Les Témoins, les gens attendaient un Les Oubliées bis au pays de Signature. Nous nous avons décidé d’aller ailleurs. Dès le départ nous avons demandé à France 2 si elle était d’accord pour que nous fassions une série qui partait du procédural pour entrer petit à petit dans notre univers.

 

Aujourd’hui en France, on ne peut pas créer si l’on va contre le système

 

ILTVSW. La chaîne ne vous a jamais demandé de ne pas refaire Signature c’est-à-dire une série d’auteur forcément plus clivante car par nature une série de niche. Ce discours n’existe pas chez les décideurs à la TV française aujourd’hui ?
H.H. Il faut jouer avec le système. Ce qui est vrai, c’est qu’aujourd’hui en France, tu ne peux pas créer si tu vas contre le système. Voilà. Il faut y rentrer et le détourner. Mais en conscience des uns et des autres. Il ne s’agit pas de faire contre France 2. On a fait avec France 2. Dans l’écriture, dans le montage … Et, eux aussi, ils ont fait un bout de chemin. Ils ont accepté ce pitch qui n’est quand même pas évident pour France Télévisions : des corps qu’on déterre et que l’on installe dans des maisons témoins. Ce n’était pas évident. On peut créer si on les respecte. Et moi, je respecte les gens qui mettent beaucoup d’argent pour faire des séries. Ce n’est pas une phrase en l’air. Nous sommes pas arrivés en disant que nous voulions refaire Signature car nous savions qu’ils n’accepteraient pas. Depuis longtemps à la vision de certaines séries procédurales et des films de David Fincher comme The Girl with the Dragon Tattoo ou Zodiac, j’avais envie de faire une série très dialoguée. Une série avec des phrases qui résument très bien l’enquête policière. La volonté était de respecter tout à fait les code du procédural, d’aller vers le grand public, de le prendre par la main et de glisser petit à petit. Un processus de glissement que l’on met en pratique depuis Les Oubliées, finalement.

ILTVSW. Pour la première fois, vous avez développé un double personnage principal. Il y a une égalité parfaite entre Sandra et Paul. Pourquoi avoir fait ce choix ? Et qu’elles ont été ses conséquences sur votre travail ?
M.H. Ce n’est pas venu tout de suite. Au départ, n’existait que le personnage de Paul. Mais, chassez le naturel, il revient au galop, à force d’être au plus près de lui, nous avons commencé à reproduire ce que nous avions déjà fait. Sandra existait mais elle était un personnage secondaire. Après six ou huit mois d’écriture, nous nous sommes faits violence, nous sommes repartis dans une autre direction.
H.H. Nous étions dans la tête de Paul Maisonneuve. Le danger aurait été de foncer là-dedans et de retomber dans les mêmes pièges. A un moment donné, la chaîne nous aurait certainement demandé de rendre moins noir ce personnage. Du coup, la solution a été de changer le point de vue. Les sources de ce projet sont des séries comme The Killing, Bron, The Fall

 

© France 2

 

ILTVSW. Et vos références pour construire Sandra, l’héroïne féminine ?
H.H. Carrie Mathison de Homeland parce qu’elle est en guerre avec tout le monde. J’aime bien les personnages qui sont en guerre avec tout le monde. Et ça va être plus visible et lisible dans la saison 2 pour laquelle nous sommes en pleine écriture.
M.H. Sarah Lund parce que sa vie de flic finit par empiéter sur sa vie privée et, du coup, c’est un personnage qui a de plus en plus de mal à s’intégrer socialement. C’est ce que l’on retrouve aussi dans Homeland mais autrement.

ILTVSW. L’existence de Sandra est quand même très conforme à l’idée que tout le monde se fait de la vie d’une femme …
H.H. Je ne trouve pas que les problèmes conjugaux soient ce qui caractérise le plus Sandra. C’est vrai qu’on a déjà vu ça un milliard de fois. Nous lui avons apporté ses peurs et ses souffrances d’enfance. La question que vous posez est le sujet, le vrai sujet. Quel regard porte-t-elle sur son rôle d’épouse, de mère, de femme et sur sa famille. Au fond la question que pose la série est : est-ce que la famille idéale existe ? Sandra a l’impression qu’elle a une famille idéale. Elle se comporte dans un stéréotype totalement assumé de sa part de femme qui met des talons hauts pour être une flic, de femme qui fait le ménage chez elle jusqu’à l’obsession pour avoir un intérieur idéal. Elle a le fantasme de penser qu’elle est une femme idéale, une épouse idéale qui a un mari idéal et une petite fille idéale. Ce n’est pas du tout le cas. Cela commence à se craqueler dans la première  saison et cela va exploser dans la deuxième.
M.H. Au départ quand on écrivait avec le point de vue de Paul Maisonneuve, on s’éloignait totalement de ce qui était la normalité. Or le principe était de questionner la normalité à travers la famille puisque c’était ça, la thématique de la série. Mais avec Paul, on avait un personnage qui était déjà hors du temps, hors du monde, sans famille, qui posait un regard extérieur sur le sujet. Cela ne collait pas. On allait dans une forme de folie. Donc, nous avons choisi Sandra, un personnage plus normal. Oui, on peut dire c’est un personnage un peu plus France 2 car elle est normale au sens de la norme. Elle répond à la norme. Nous avons voulu craqueler la norme et l’obliger à la questionner. On ne peut donc pas dire que France 2, nous aurait ramené à la norme car la chaîne a accepté notre démarche.

 

Marie Dominer dans Les Témoins © France 2

 

ILTVSW. Les Témoins se caractérisent par l’abondance de dialogues très didactiques qui vampirisent la poésie de la série …
H.H. En conscience, nous nous sommes dits qu’il fallait que le début de l’épisode 3, donc le début de la deuxième soirée, soit comme une répétition du début de l’épisode 1 car 30% des gens n’auraient pas vu les deux premiers. Il fallait donc faire un résumé de l’enquête. Nous avons écrit dix minutes pour que ces nouveaux téléspectateurs puissent apprécier la série.
M.H. Cela a été voulu par nous et non demandé par la chaîne. Il y a même des moments où nous avons dû insister pour conserver ces dialogues. Nous n’avons pas travaillé en nous demandant: « Voyons voir comment font Les experts ou NCIS ? ». Dès le départ, nous avons construit une intrigue complexe pour aller l’encontre de ce que nous avions fait avec Les Oubliées qui racontait une enquête qui piétine car son personnage principal est un type qui va devenir fou pour résoudre l’affaire. Avec Les Témoins, notre grande peur était que le spectateur se perde dans une enquête très compliquée qui devient même assez barrée à partir des épisodes 3 et 4. Nous avons fait le choix de ne pas perdre le téléspectateur et c’était une promesse que nous avions faites à France 2 comme à nous-mêmes. Nous avons donc décidé de nous débarrasser de toutes les questions dans les dialogues.

ILTVSW. Avec les contraintes propres au procédural, ne vous êtes vous jamais sentis à l’étroit dans six épisodes?
M.H. A un moment, c’est venu très très tard, nous nous sommes dits que l’enquête avait un petit peu bouffé les personnages. Cela dit, nous n’avons pas fait une série parfaite. On va même aller au bout de ce raisonnement. Moi, j’ai des remarques à faire sur toutes mes séries. Dans Les Oubliées chaque épisode n’était pas assez bien locké. Pigalle n’était pas parfaite non plus. Et là, pour le coup, Canal Plus a sa part de responsabilité et quand une chaîne a sa part de responsabilité, je le dis. Comme par hasard, c’est Canal la chaîne des auteurs qui a sa part de responsabilité et pas France 2 la chaîne publique qui, dit-on, censure tout le monde … J’aime bien aller à contre-courant des idées reçues et je fais ici appel à du vécu. Pigalle était au départ une série chorale. Elle est devenue un thriller dans lequel un frère cherche sa sœur. Cette évolution a été voulue par Canal Plus et cela me fait chier car c’est déséquilibré et cela ne fonctionne pas. Sur Signature, il y a aussi un déséquilibre dans la relation entre deux personnages Daphné et Toman. Pour le coup, là, c’est de notre faute.
H.H. Pour la saison 2 des Témoins ont essaye de mieux équilibrer les personnages versus l’enquête. Cela sera léger. Par moment, je suis frustré par la saison 1 car il manque deux, trois, quatre scènes qui sortent de l’enquête et nous permettent de mieux rentrer au cœur des personnages.
M.H. D’ailleurs, on aimerait aller vers huit épisodes si France 2 l’accepte. Cela nous permettra d’avoir une enquête plus complexe encore.
H.H. Cela dit,  je pense qu’en six épisodes, on a tout a fait le temps de faire une série procédurale qui développe de très beaux personnages. A aucun moment, nous ne sommes allés voir la chaîne pour savoir si nous ne pouvions pas faire huit épisodes. Je pense qu’on y est arrivé avec Les Témoins. Maintenant, est-ce que nous aurions pu mieux faire ? Oui sans doute. Au montage, on réalise qu’il n’y a peut-être pas assez de petits moments de vie car le scénario était hyper dense parce que nous voulions une narration basée sur les rebondissements. Cela dit, paradoxalement, c’est la série ce qui se vend partout.

 

Une forme est censurée sur toutes les chaînes françaises, c’est le minimalisme

 

ILTVSW. La réalisation semble plus libre que l’écriture …
H.H. Nous n’avons pas été plus bridés sur l’écriture que sur la réalisation. A aucun moment, nous n’avons fait de concessions. Je n’ai jamais ressenti sur aucune de mes séries un interventionnisme sur la réalisation. Nous nous positionnons comme showrunners donc c’est très clair dès le départ, personne ne vient m’emmerder dans la salle de montage. Cela dit, Les Témoins sont très bien réalisés mais je ne révolutionne rien. Je pense que la télévision française a besoin de direction artistique. C’est un poste qui n’existe pas en France. C’est pourtant un rôle primordial qui permet d’arriver à une direction artistique globale. Mais il faut qu’un artiste s’en charge pas un producteur.
M.H. Je voudrais ajouter qu’il y a une forme aujourd’hui à la télé qui est censurée sur à peu près toutes les chaînes y compris Arte, c’est le minimalisme. Il est impossible de vendre une série comme Rectify en France. C’est important parce que cela implique un certain ton, une certaine couleur qui fait partie de la mise en scène qu’il est impossible de développer en France. Je dirais que, même dans des séries à personnages, quand tu commences à t’installer pendant 3 ou 4 minutes, cela déplaît immédiatement aux conseillers de programme qui ont la sensation que les gens vont zapper.

ILTVSW. La fameuse peur du vide …
H.H. L’un des plus grands problèmes de la télévision aujourd’hui, c’est la peur du silence. Or pour mieux entendre un bruit, il faut qu’il soit précédé par du silence. Au fond, c’est la peur du vide.
M.H. C’est un problème propre à notre culture commerciale. Prenons la musique par exemple, on est dans du bruit tout le temps. Dans les comédies commerciales, il faut que cela rie toutes les trois minutes. On ne pourrait plus faire du Tati aujourd’hui. A la télé, il y a malheureusement très peu de choses non commerciales aujourd’hui. C’est du bruit, du bruit, du bruit …
H.H. Au début des Témoins, nous nous sommes dits qu’au lieu de travailler le vide, nous allions le remplir. Et la question était évidemment de savoir jusqu’où nous pouvions le remplir dans notre univers à nous sans le trahir.

ILTVSW. Vous vous êtes donc mis au procédural pour la première fois, vous êtes vous fait peur ?
H.H. C’est dangereux. Bien sûr que l’on s’est fait peur. La première fois que j’ai vu le premier montage de la série, je l’ai trouvé nul à chier. Je n’aimais pas du tout les dix premières minutes. On a tout recommencé car c’était justement encore plus efficace.
M.H. Même quelqu’un d’aussi talentueux que Eric Demarsan a été obligé de repenser la musique tellement c’était décalé.
H.H. Eric avait écrit une musique comme d’habitude c’est-à-dire comme sur Signature ou Pigalle sur scénario. Nous avons enregistré avec un orchestre et lorsque nous avons posé la musique au montage, cela n’a pas marché. Il y avait deux temporalité différentes. Eric avait continué d’écrire dans notre espace temps à nous alors que nous, nous avions glissé dans un autre. Donc, il a fallu recomposer toute la musique et j’ai un producteur qui a accepté de le faire.

 

Sami Bouajila dans Signature © France 2

 

ILTVSW. Cette prise de conscience que vous êtes à côté de votre série, comment se passe-t-elle ?
H.H. Je ne me reconnais pas assez. C’est trop mécanique. On parle ici de demie secondes par plan. Mais cela change tout. Nous avons mis énormément de temps à régler le premier épisode. Il fallait qu’il soit le plus efficace possible mais qu’il y ait résolument des traces de notre univers. Je pense à la fin du premier épisode et l’apparition du petit chaperon rouge, notamment. Cela a été très compliqué à faire. Quand on regarde la série l’espace temps du sixième épisode n’a rien à voir avec celui du premier. Il fallait anticiper cela. Je pense d’ailleurs que les deux derniers épisodes auront beaucoup moins de succès que les quatre premiers. Mais c’est voulu, c’est assumé. Nous avions envie de cette progression.
M.H. Quand on parle de mise en scène ou de scénario, on renvoie souvent à la dimension picturale et littéraire. Et, en fait, je pense que ce qui fait le lien entre le métier de scénariste et celui de metteur en scène, c’est la musique. Je pense que l’art qui se rapproche le plus du travail de quelqu’un qui fait du cinéma, c’est la musique parce que la création audiovisuelle est un art du temps. Contrairement à la peinture ou la littérature, nous sommes prisonniers du temps. Un lecteur lit en fonction de son rythme. On peut rester deux secondes ou une heure devant un tableau. La musique et le cinéma contraignent le spectateur. C’est d’ailleurs bien pour cela que les chaînes ont si peur du silence et du minimalisme. Elles sont effrayées par les temps faibles, le vide. Le surréalisme par petites touches, ça passe parce que cela permet au téléspectateur de rêver même si l’on ne peut pas faire du Lynch.

ILTVSW. Le rôle d’une chaîne publique n’est-il pas aussi de défendre l’importance culturelle de savoir s’arrêter?
M.H. Évidemment. Bien sûr. C’est dommage qu’ils ne le fassent pas. Je ne suis pas dans l’angélisme.
H.H. Si cela pouvait exister à la télévision française, ça devrait exister d’abord sur le service public. C’est que nous avions modestement essayé de faire avec Signature.
M.H. Comme avec Les Oubliées et ils nous avaient autorisé à le faire … Cela a correspondu à un moment. Aujourd’hui, ce n’est pas l’air du temps. Il y a des peurs, de crispations politiques. Quand tout le monde a peur, plus personne ne prend de risques.
H.H. La musique est ma vraie passion. Je me suis remis aux vinyles. L’année dernière, j’en achète un parce que la pochette me plaisait. Je l’écoute et il devient l’un de mes disques préférés. A tel point que je décide six mois plus tard de me l’acheter en mp3. Je l’écoute et je m’aperçois que depuis six mois, je me trompe de vitesse. C’est un 45 tours que j’écoute en 33 donc c’est très lent, il y a des silences. Et je réalise que c’est cela qui me plait. A la vitesse normale, c’est nul. C’est drôle, non?

 

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Thierry Lhermitte dans Les Témoins © France 2

 

ILTVSW. Est ce que cette obsession pour le bruit que cristallise la télé n’illustre pas le temps de penser que l’on ne nous laisse plus ? Penser serait considéré comme inutile voire dangereux ?
M.H. Ce n’est pas moi qui vais dire le contraire.
H.H. Moi, je pense que c’est moins organisé que cela mais le résultat est le même. Nous sommes dans une société qui devient folle. Quand quelqu’un t’envoie un mail, si tu n’as pas répondu dans la demi-heure, c’est le drame. Dans les bureaux où j’écris, je n’ai même pas Internet sinon je deviens fou. La narration, la fabrication des séries est devenue comme celles des films dans lesquels il y a une accélération sans fin des effets spéciaux, des explosions, de trucs, des machins mais dans lesquels on ne développe plus les personnages. Jusqu’où va-t-on aller ? Évidemment que c’est problématique.

ILTVSW. Cela signifie que pour arriver à créer aujourd’hui en France il faut l’accepter?
M.H. C’est compliqué, c’est une guerre. C’est une vraie question.
H.H. Non, il y a plein de gens qui ne l’acceptent pas. C’est possible en peinture, en musique avec les home studios, en sculpture. Tu peux faire de très belles bandes dessinées et, sans doute, écrire des romans, aussi. Une série coûte huit à dix millions d’euros et elle est acheté par des gens qui, en gros, te sortent des études, c’est évidemment compliqué. J’aimerais beaucoup que le service public permette davantage ce type de projets mais on est quand même dans un système qui permet de temps en temps de faire des choses. Faut-il s’en contenter ? Non. Il faut évidemment se battre pour améliorer la situation. Malgré la suppression de la publicité, les décideurs restent conditionnés par l’audience. C’est de l’argent public et ils considèrent qu’il doit servir le plus grand nombre. C’est leur logique.

Titre: Les Témoins
Créateurs: Marc Herpoux et Hervé Hadmar
Cast: Marie Dompnier, Catherine Mouchet, Roxane Duran, Thierry Lhermitte, Laurent Lucas, Mehdi Nebbou, Jan Hammenecker.
Diffuseur: France 2

© 2015 ILTVSW – La reproduction partielle ou entière de cet entretien n’est pas légale sans l’accord préalable de ILTVSW.

La semaine prochaine dans ILTVSW … Oups, pas encore tranché, désolée.

ILTVSW guest star: Arnaud Malherbe, le co-créateur de Chefs

8 Fév

FRA/ENGLISH

Arnaud Malherbe, coauteur avec Marion Festraëts, de la série Chefs dont il signe également la réalisation a accepté l’invitation de ILTVSW à l’occasion du lancement de la série mercredi soir sur France 2. Du concept au montage, de la création des personnages au tournage, de l’arrière-cuisine à l’influence de Star Wars, Arnaud Malherbe raconte comment sa première série a vu le jour.

To my readers, exceptionally ILTVSW will only be French speaking this week. The french writer and director Arnaud Malherbe co-creator with Marion Festraëts of the TV show Chefs (France 2), exploring the French cuisine from behind the scenes like a Greek tragedy, is the guest star of the blog today. But as soon as next week things will be back to normal meaning French & English.

 

 

ILTVSW. Il n’y a ni flics, ni médecins, ni avocats dans Chefs. Pour un créateur emprunter un chemin artistique en dehors des sentiers battus c’est-à-dire sans pouvoir se raccrocher à un genre fédérateur, c’est grisant ou au contraire impressionnant ?
Arnaud Malherbe. De manière étrange, nous ne nous sommes pas vraiment posés la question de la prise de risque. Nous sommes restés connectés à notre désir, qui n’était pas celui de faire une série et de trouver à quel sujet nous allions nous attaquer. C’est venu beaucoup plus naturellement. Avec Marion, ma compagne, avec qui j’ai créé Chefs, nous nous étions retrouvés devant des documentaires qui traitaient du travail d’une brigade dans un grand restaurant. Cela nous a tout de suite paru être un théâtre dramaturgique extrêmement puissant. Il y avait là des personnages avec des destins très différents, des archétypes presque. Nous avons aussi senti que c’était un univers extrêmement martial, guerrier, hiérarchisé avec des rapports très tendus, parfois violents et même violents physiquement. Mais, c’était également un espace de création, de passion, d’art, d’une certaine façon. La contradiction et la force de ces deux constats nous offraient un espace dramatique dingue à développer. Ce qui nous a sidéré, c’est qu’une série sur le sujet n’existait pas encore alors que la cuisine est l’un des marqueurs culturels les plus forts de l’identité française. C’est très significatif de la manière dont les diffuseurs ne s’emparent pas de ce que devrait être la fiction française. Ils vont faire la 75e série de flic mais pas s’attaquer à un espace socio culturel hors formule procédurale ou comédie familiale pure. C’est un parti pris qui reste très très rare.

 

Faire Star Wars en cuisine 

 

ILTVSW. Une chose est de prendre la mesure de la richesse d’un sujet, une autre est de réussir à en faire une série …
Arnaud Malherbe. Je pense que nous avons sous-estimé la difficulté du projet. Dans Chefs, pour nous les créateurs, il ne pouvait pas y avoir de zone de confort puisqu’il n’y avait pas d’enjeux de vie et de mort. Il fallait inventer une promesse pour le téléspectateur. C’est extrêmement difficile. Cela a mis du temps. Il y a eu une évolution dans la nature même de la série liée aux échanges avec la production et la chaîne. Nous sommes partis de quelque chose qui, à la base, était pour nous plus choral, plus naturaliste et plus social même si nous avions déjà un désir de décalage poétique. Ce désir a rencontré une contrainte éditoriale et industrielle de France 2 qui souhaitait un parcours narratif beaucoup plus resserré autour de deux personnages, de plus feuilletonnant, plus populaire et moins éclaté. Nous avons pris cette direction et nous assumons tout, bien sûr.

ILTVSW. Très rapidement, en regardant la série, on ressent l’influence de la tragédie grecque. Une fatalité moderne à la Star Wars imprime la série … Prendre ce chemin a-t-il été une manière de surmonter le fait de ne pas vous inscrire dans un genre télévisé ?
Arnaud Malherbe. C’est très juste, dans l’esprit, il y a de la tragédie grecque parce qu’ il a fallu trouver un véhicule narratif pour entraîner les téléspectateurs. Et pour notre génération pop, l’une des références est Star Wars qui a vraiment imprimé notre imaginaire. Dark Vador, Luke, l’empereur nous ont aidé à déterminer le comportement de nos personnages. Comme nous n’étions pas dans un cadre rassurant, nous avons été obligés de retrouver des référents sur lesquels nous appuyer pour écrire. Luke représente, par exemple, l’appel du devoir que l’on commence par refuser … Très vite, le téléspectateur peut se dire : « Ça, je l’ai déjà vu, cela m’a ému, je l’ai compris, cela a du sens. » Il n’était pas question de copier mais de s’appuyer sur le même type de mouvements dramatiques et d’émotions. Par ailleurs, se dire : « On va faire Star Wars en cuisine », c’est hyper excitant !

 

 

ILTVSW. Ce travail sur les personnages est capital pour la réussite d’une série … Comment l’avez-vous abordé ?
Arnaud Malherbe. Nous voulions travailler sur des archétypes. Le chef capitaine d’un bateau pirate, le petit gars qui refuse son don travaillé par un trauma d’enfance, le grand méchant loup … Nous avions envie de jouer avec tout cela. Nous voulions nous inventer une fantasmagorie. Nous sommes partis de l’univers pour aller aux personnages. Cela a été assez long. Nous avons mis du temps à trouver le mouvement général de l’histoire. L’une des préoccupations qui a dirigé notre écriture était de faire un feuilleton populaire. Dans un feuilleton populaire, il y a des secrets de famille, on aime, on se déchire, on trompe, on ment …

ILTVSW. On retrouve dans Chefs la fameuse question du rapport père-fils déjà présente dans votre premier long métrage Belleville Story. C’est l’un des sujets majeurs du patrimoine de la dramaturgie, il vous fascine ?
Arnaud Malherbe. Oui, effectivement. On se retrouve avec un héros qui a l’appel du devoir mais le refuse car il ne veut pas accepter le don qui est le sien. L’enjeu est donc celui de l’acceptation mais aussi celui de l’apprentissage. Finalement, c’est un récit initiatique. Il n’y a rien de plus classique que cela. Les structures d’histoire, c’est un peu comme les planètes, elles sont toutes là, elles tournent et on s’en empare. Mais nous racontons toujours les mêmes histoires car nous sommes les mêmes humains. On a besoin de catharsis. De voir des gens faire ce qu’on ose pas faire ou qu’il ne faut pas faire. C’est une médecine. Il y a un patrimoine narratif qui se transmet à partir d’émotions ou de mouvements humains qui existent depuis toujours.

ILTVSW. Votre série ressemble à votre long métrage Belleville Story comme Ainsi Soient-ils ressemble au premier film de Rodolphe Tissot, son réalisateur. Peut-on parler de génération Arte ?
Arnaud Malherbe. Quand l’ancien patron de la fiction d’Arte François Sauvagnargues a été débarqué, je lui ai envoyé un message pour lui dire que je lui serai éternellement reconnaissant de m’avoir donné les clés. Pour moi, cela été capital. La vraie intelligence d’Arte a été d’avoir une politique de premiers films. C’est-à-dire de lancer des projets sans expliquer aux créateurs comment il faut faire les choses. Je me rappelle, quand je suis arrivé dans son bureau, le scénario était déjà écrit mais je n’avais pas de producteur. Il me demande : « Quel film voulez-vous faire ? » Moi, je lui raconte tout le truc pendant une demi-heure. Il me dit : « C’est bon ». Je lui réponds : « C’est bon, on se rappelle, on va retravailler le scénario, c’est ça ? » Il me dit : « Non, c’est bon, on fait le film et on va vous trouver un producteur ». J’ai halluciné. Le mec, c’était le messie, quoi.

 

 

ILTVSW. Cela semble être une tendance générationnelle, l’écriture et la réalisation sont étroitement associées dans les séries d’auteurs françaises. C’est très français de fonctionner ainsi par couples, ce n’est pas le cas aux États-Unis …
Arnaud Malherbe. Je pense que c’est la clé de tout. Nous nous rejoignons avec les Anglo-saxons sur la question du leadership et du continuum. Quelque soit le responsable, il faut qu’il y ait un responsable du début à la fin qu’il soit scénariste showrunner ou réalisateur associé. Sur la question du couple artistique, moi je suis meilleur quand je travaille avec Marion et elle est meilleure lorsqu’elle travaille avec moi. Nous sommes devenus une équipe de création.

ILTVSW. Votre écriture comme votre réalisation utilisent beaucoup le silence … Qu’y puisez-vous ?
Arnaud Malherbe. Je suis convaincu que les scènes les plus belles sont celles où il n’y a pas de mots ou très peu. Celles où l’on comprend les choses car elles sont chargées de ce qu’il y a eu avant et de ce qu’il y aura après … Comme dans la vie. J’aime aussi le sous-texte dans les dialogues. Quand on raconte ses émotions ou ce qui s’est passé comme c’est souvent le cas dans la fiction française, c’est du bavardage mais cela n’est pas intéressant. En revanche, quelqu’un qui dit : « Je te déteste » pour dire je t’aime, ça c’est intéressant. Il faut rassurer les chaînes pour qu’elles prennent conscience que de ne pas dire les choses cela peut être très bien.  Comme nous sommes dans un processus de validation par l’écrit, nous sommes dans une survalorisation de l’écrit. Et, entre l’écrit qui doit devenir une image et le bavardage littéraire, il n’y a pas loin. Il faut vraiment faire attention. Par exemple, c’est très difficile à la lecture d’imaginer la puissance narrative d’une séquence où rien ne se dit. Alors que puisque c’est chargé de quelque chose qui se passe avant, cela devient très beau.

 

Le curseur n’est pas intellectuel, il est émotionnel 

 

ILTVSW. Dans Chefs, on sent vraiment trois niveaux d’écriture le scénario, le tournage et le montage …
Arnaud Malherbe. J’ai vraiment découvert avec la série, l’importance des proportions. C’est vraiment un tiers, un tiers, un tiers. Tu es en permanence en train de réécrire. Les épisodes tels qu’ils seront diffusés mercredi n’ont pas été écrits comme cela. Certaines scènes ont disparu, d’autres sont résumées à un regard, d’autres encore ont été déplacées. Il y a un vrai travail de réécriture au stade du montage.

ILTVSW. Pouvez-nous parler un peu de ce troisième niveau d’écriture ?
Arnaud Malherbe. Nous nous sommes retrouvés en fin de tournage avec tellement de choses à raconter que nous étions comme pris dans un embouteillage de scènes qui passaient les unes après les autres. Il n’y avait pas de moments de respiration. Pour des raisons de temps et d’argent, on raye ces moments sur le tournage. Et finalement, ils manquent. Mes monteurs m’ont vite appelé pour m’alerter. Ils m’ont dit : « Il y a un problème, nous allons à cent mille à l’heure mais il n’y a pas temps pour que les personnages ou les spectateurs aient du recul ou d’espace poétique ». Nous nous sommes donc fait une liste de situations qui pouvaient être utilisées un peu partout dans la série. Je suis allé tourner des scènes qui n’avaient pas de place précise mais qui ont servi de matériau au montage.

ILTVSW. Comment êtes-vous finalement parvenu à forger l’identité de Chefs ?
Arnaud Malherbe. Au montage, on continue de tenter de s’approcher de ce qu’on voulait faire au départ. J’avais deux monteurs super, avec qui j’ai très bien travaillé. Lorsque l’on écrit quelque chose, on ne peut jamais avoir la certitude absolue de ce que ça va donner. Il y a ce dont on rêve, ce qu’on est capable d’écrire et ce que l’on  tourne dans des contraintes artistiques, logistiques, financières … C’est un processus de mutation permanent. Alors, l’ADN de la série est comme une intime conviction. À un moment, on se dit, c’est ça, c’est juste, là ils jouent bien. C’est une projection d’émotions. Si une scène nous touche, elle a du sens. Très souvent chez les créateurs, on parle de mode de travail, de structure de narration et jamais, peut-être parce que cela va sans dire, de connexions émotionnelles avec le travail. Quand un créateur est connecté émotionnellement avec une scène, qu’elle fait sens pour lui, il doit tenir. Le curseur n’est pas pour moi intellectuel. Il est émotionnel.

Titre: Chefs
Créateurs: Marion Festraëts et Arnaud Malherbe
Cast: Anne Charrier, Annie Cordy, Joyce Bibring, Clovis Cornillac, Hugo Becker, Nicolas Gob, Robin Renucci, Zinedine Soualem
Diffuseur: France 2 chaque mercredi à 20h50

© 2015 ILTVSW – La reproduction partielle ou entière de cet entretien n’est pas légale sans l’accord préalable de ILTVSW.

La semaine prochaine dans ILTVSW … Oups, pas encore tranché, désolée.

Retrouvez ce billet dans la sélection hebdomadaire Séries Mania