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ILTVSW craque aussi pour/also loves… #LeBureaudeslégendes Saison 2

8 Mai

FRA/ENGLISH

Impossible de se tromper en faisant du classique. Evidemment, ce n’est jamais la folie. Mais c’est une carte sûre. Le Bureau des légendes saison 2 qui débute demain sur Canal Plus donne dans le classique. Et le très français. Pour une série d’espionnage française, c’est une judicieuse idée. La saison 1 était intéressante. À la TV française cela signifie, encore, faire le boulot d’une série TV sans être ridicule ou essayer de singer une série américaine. Intéressante comme le devoir d’un étudiant zélé. Aucun des éléments requis n’y manquaient. Notamment pas la tonne d’infos sur le quotidien au bureau des espions y compris leur version de la Sodexo. Car, son créateur, le réalisateur français Éric Rochant vit un truc fort (obsessionnel) avec le sujet. Du coup, il avait surligné en fluo combien chaque moment de sa série était exact.

Nous étions convaicus qu’il avait mis une incroyable énergie afin de permettre à son Bureau des légendes d’avoir l’air vrai. Mais nous savions aussi que cela n’était pas la raison pour laquelle nous nous étions tellement attachés à Jimmy McNulty, Don Draper ou (sanglots) Alicia Florrick. Nous étions profondément concernés par leur sort car nous étions émus. Et nous étions émus parce que leurs créateurs avaient mis une énergie peu commune à en faire des êtres de chair et de sang.

La saison 2 du Bureau des légendes s’ouvre immédiatement sur une expérience humaine. De manière plus modeste que la saison 1. Le conflit principal est plus directement établi. Et, surtout, plus générateur d’empathie. Classique. Guillaume, le héros, se sent coupable parce que quelque part très loin de Paris la femme qu’il aime est captive à cause de lui. Il décide de trahir son pays dans l’espoir de la soustraire à ses geôliers. Une décision cauchemardesque pour un patriote. Et un très classique dilemme. Mais peu importe. Une sage saison.

Potentiel BFFF (Personnage préféré pour toute la vie) : réel. Regarder : pour trembler, pour réfléchir, pour aimer.

La semaine prochaine dans ILTVSW… Oups, pas encore tranché, désolée.

 

Mathieu Kassovitz (Guillaume Debailly) © Canal Plus

 

Titre/Title : Le Bureau des légendes (depuis/since 2011)
Créateur/Creator : Éric Rochant
Cast : Mathieu Kassovitz (Guillaume Debailly), Jean-Pierre Daroussin  (Henri Duflot), Léa Drucker (Dr Balmes), Sara Giraudeau (Marina Loiseau)
Maths : 2 saisons/seasons
Chaîne/Network : Canal Plus

Classic is always a good move. You can’t go crazy with classic, that’s right. But you can’t go wrong. Le Bureau des Légendes season 2 starting this Monday on Canal Plus is going classic. And very French. For a French spying TV series that’s a pretty good idea. Season 1 was interesting. On French TV it still means that a TV show does a TV show job without being ridiculous or trying to be an American TV show. Interesting like a good student essay. All the required elements were there. With a lot on French spies’ everyday life during office hours. Because its creator the French filmmaker Éric Rochant has a thing (nearly an obsession) with this topic. He insisted a lot on the fact that every single moment of his show was accurate. 

We totally believed he had put an incredible amount of energy trying to make his Bureau des Légendes look true. But we also new that realism is not the reason why we have cared so much about Jimmy McNulty, Don Draper or (sobbing again) Alicia Florrick. We deeply cared because we were truly moved. And we were truly moved because their writers managed to flesh and blood all of them. 

Season 2 of Le Bureau des légendes immediately opens on human experience. More modestly than season 1. The main conflict is more directly and quickly stated. And more close to us. Classic. Guillaume Debailly the spy hero feels guilty because somewhere far way from Paris the woman he loves is held captive because of him. He makes the decision to betray his country to save her. That’s a nightmarish decision to make for a true patriot. And a very classical dilemma between two wrong decisions. But who cares ? Wise move.

BFFF (Best fiction friend forever) potential: real. Watch to freak out, to think, to love.

Next week in ILTVSW… Oops, not decided yet, sorry.

ILTVSW guest stars : Eric Benzekri et Jean-Baptiste Delafon #BaronNoir

21 Fév

FRA/ENGLISH

Eric Benzekri et Jean-Baptiste Delafon signent la première série politique française. Les créateurs de Baron Noir ont accepté l’invitation de ILTVSW. De Philippe Rickwaert dépressif à Philippe Rickwaert flamboyant en passant par leur nostalgie d’un certain mâle dominant à la française, les deux auteurs se livrent dans une interview fleuve.

To my readers, exceptionally ILTVSW will only be French speaking this week. Eric Benzekri & Jean-Baptiste Delafon, the French writers & producers of the first French political drama Baron Noir for Canal Plus are the guest stars of the blog today. But as soon as next week things will be back to normal meaning French & English.

 

© Canal Plus

 

ILTVSW. Baron Noir n’est pas la série que vous aviez initialement en tête. Comment et pourquoi a-t-elle évoluée ?
Jean-Baptiste Delafon. Le projet initial était beaucoup plus existentiel. C’était une chronique portrait d’un homme politique qui n’était pas forcément flamboyant. Avec ses moments de creux. Son 15 août sinistre. On était dans quelque chose de beaucoup plus dépressif. Le personnage était déjà Rickwaert mais en plus bizarre. Il en reste beaucoup de ce personnage, d’ailleurs. Mais Canal Plus n’a pas suivi sur cette ligne-là. On nous a dit que le personnage tel qu’il existait dans la première version du pilote était assez minable, comme on peut dire que Soprano est minable, mais pour Baron Noir ce n’était pas un compliment. C’était quelque chose que la chaîne n’était pas prête à faire. Et à mon avis, ils ont eu raison. Ils ont dit : « C’est difficile de faire venir des gens sur la politique. Si en plus on fait une série politique existentielle avec une dramaturgie assez flottante, on ne passera pas. » Les chiffres montrent qu’il y a presque la moitié moins de gens qui viennent que sur Braquo parce que Baron Noir est une série politique. Malgré le casting. Canal Plus a voulu limiter le risque. Je les comprends. La politique plus la dépression, cela faisait beaucoup.

 

Nous avons passé un accord avec Canal Plus, OK on fait de la pure politique mais on surdramatise. 

 

ILTVSW. Comment travaillez-vous ensuite ?
Jean-Baptiste Delafon. La chaîne nous a demandé d’explorer une autre piste. Et si Joël ne s’était pas suicidé ? Nous avons joué le jeu et mis au coeur du récit un enjeu de mystère policier. Cela a été une catastrophe. Cela tenait en un ou deux épisodes. Et puis des tiroirs ne fermaient pas, on avait des casseroles et plus d’espace pour traiter ce que nous avions vraiment envie de traiter. Cela devenait du policier dans un milieu politique. Avec une histoire assez peu intéressante et crédible car on ne tue pas physiquement en politique aujourd’hui en France.

ILTVSW. Comment êtes-vous sortis de cette mauvaise piste ?
Jean-Baptiste Delafon. Le moment où nous nous sommes fait retoquer notre première version existentielle et minable a été très dur. Nous étions furieux. Nous voulions tout arrêter. Nous nous sommes même dit que nous allions faire autre chose. L’orgueil de l’auteur (rires). A Canal Plus, ils nous ont parlé avec beaucoup de douceur. Mais c’est vrai que ce mot minable, qui qualifiait seulement le personnage, on l’a d’abord un peu pris pour notre travail. Finalement, nous nous sommes remotivés pour l’exploration de la deuxième piste. Très vite, les plaques d’immatriculation et les caméras de surveillance nous ont déprimé, nous avons décidé d’être honnêtes et de dire qu’on ne pourrait pas écrire Baron Noir comme ça. Cela a été évident pour les équipes de Canal Plus aussi. Nous avons passé un accord : « OK, on fait de la pure politique mais on surdramatise ». On crame nos vaisseaux. Et Fabrice de la Patellière (directeur de la fiction de Canal Plus, NDLR) a évoqué la possibilité de faire une mini série. Je ne sais pas si c’était volontaire mais cela a été une manière de nous obliger à tout donner. Il y a eu une première phase d’écriture en mode mini série dans laquelle on a musclé considérablement la dramaturgie tout en restant dans une pure série politique. La politique conduisait le récit. Cela a permis de libérer le développement et nous a permis d’avancer assez vite.

 

© Canal Plus

 

 

ILTVSW. Et puis, finalement, lors du lancement de la série certains vous présentent comme le House of Cards française. Ce que n’est vraiment pas Baron Noir
Jean-Baptiste Delafon. Effectivement il n’y a pas grand chose de commun. Ni dans le traitement, ni dans la vision de la politique. Baron Noir est une série dans laquelle le militantisme existe vraiment. C’est très différent d’une partie d’échecs dans les hautes sphères. Nous, on a les pieds dans la gadoue. Nous racontons des histoires très spécifiques à la gauche française à un moment donné de l’histoire de France. Underwood est un psychopathe. Et House of Cards dans la jouissance du cynisme. Il n’y a aucun enjeu de bien public dans cette série. Le bien public est au coeur de Baron Noir. Si Philippe Rickwaert se voyait tel qu’il est réellement, il s’effondrerait. Il est mégalo dans le service du bien public, de l’intérêt collectif, du pays.

ILTVSW. Borgen est beaucoup plus proche… (Eric Benzekri se joint à l’entretien)
Jean-Baptiste Delafon. Nous n’avons jamais parlé de Borgen pendant l’écriture. D’ailleurs, pour être honnête, je n’ai vu que les trois ou quatre premiers d’épisodes et je ne suis pas entré dedans.
Eric Benzekri. Le grand point commun avec Borgen c’est qu’on est ancré vraiment dans un pays. Baron Noir est aussi très locale. Les deux séries montrent qu’il est possible de parler d’un pays en le prenant par le biais politique. Borgen parle superbement du pays et de l’Europe. Nous on voulait parler de la France. Et on a cherché longtemps… Il y a évidemment aussi une parenté avec The West Wing.

J’ai dû voir cinq fois l’intégrale de The West Wing.

ILTVSW. Il y a même deux moments où l’on croit voir un hommage à The West Wing
Eric Benzekri. Il y a une scène dans les cuisines dans The West Wing et dans Baron Noir. C’est logique quand vous discutez de politique à 4 heures du matin, vous avez faim. Très honnêtement, l’hommage est inconscient mais cette série m’a tellement marqué… Nous sommes des éponges. J’ai dû voir cinq fois l’intégrale de The West Wing.
Jean-Baptiste Delafon. Il est impossible de ne pas faire de walk and talk quand on fait une série politique. Même si The West Wing n’avait pas existé, on en ferait. C’est plus un effet de coïncidence. D’ailleurs, aborder une scène en walk and talk est un choix de réalisation. Et Ziad Doueiri, le réalisateur, lui ne connaissait rien en séries. Il était totalement vierge. Il ne s’agit donc pas d’hommages conscients.

ILTVSW. Une bonne série naît d’abord du point de vue d’un auteur. Comment conjugue-t-on les désirs de deux cerveaux ?
Jean-Baptiste Delafon. Comme dans la vie, comme dans l’amour, il faut un peu de chance. Il y a le miracle de la rencontre. Il ne faut pas minimiser cet aspect-là. Nous sommes très amis mais nous nous sommes rencontrés professionnellement d’abord. Baron Noir est le fruit d’années de siphonage et d’émulation. Le troisième Rickwaert est le premier Rickwaert épuré dans un sens. C’est-à-dire délesté de sa dépression. Mais c’est le même.
Eric Benzekri. Exactement. Il a raison.
Jean-Baptiste Delafon. Nous avons conservé l’aspect dominateur, suractif, impactant.
Eric Benzekri. L’aspect viril et sexiste aussi est resté prononcé.

 

Eric est détenteur de l’énergie de Rickwaert.

 

ILTVSW. Comment se concrétise cette fusion intellectuelle ?
Eric Benzekri. Nous sommes ensemble de 9h30 à 18h30. Nous ne faisons que parler. Nous prenons des notes aussi mais elles restent très longtemps minimalistes.
Jean-Baptiste Delafon. Chaque épisode fait ensuite l’objet d’un document point par point de trois pages maximum avant de passer à l’étape du dialogué. Ensuite nous réécrivons énormément.
Eric Benzekri. Pour nous écrire, c’est réécrire.
Jean-Baptiste Delafon. Jusqu’à vingt versions d’un épisode. Il y a même eu des refontes totales pour les épisodes quatre et six. La méthode est celle-là. Le producteur apprend à lire ces documents qui sont très minimalistes. Il se prend la tête. C’est compliqué pour lui. Chaque scène en deux lignes. Il y a une quarantaine de points par épisode. Cela nous permet d’avoir un document très maléable.
Eric Benzekri. En fait, il y a discussion permanente sur tout. Nous sommes sur tous les fronts en même temps. Dans une journée, il peut nous arriver de rester bloqués entièrement sur un point précis de mécanique. Mais, très souvent, nous faisons de la mécanique, puis nous nous concentrons sur un personnage puis nous passons encore à autre chose…
Jean-Baptiste Delafon. Nous ne décidons de rien si nous ne sommes pas tous les deux convaincus. C’est une manière de travailler très fusionnelle et en même temps nous avons nos sensibilités et nos petits avantages comparatifs.

ILTVSW. Quels sont-ils ?
Jean-Baptiste Delafon. Eric est détenteur de l’énergie de Rickwaert. De son hyper violence. Mais je l’ai canibalisé aussi. Il amène ce personnage-là. Après, il y a quelque chose qui m’est plus spécifique c’est vraiment dans l’écriture elle-même. La musicalité que j’apporte de façon un peu plus spécifique à la base. Mais là encore, il m’a énormément siphonné cela. Eric était fasciné par ce style et moi par son apport à lui. Il y a donc un mélange d’un truc très anguleux sur le personnage et d’une tonalité dans l’écriture.
Eric Benzekri. En fait, je ne pourrais pas écrire le Baron Noir avec quelqu’un d’autre. On peut nous adjoindre des auteurs, on en a besoin. Moi j’ai besoin de Jean-Baptiste pour faire du Baron Noir. Nous, on aime dire que c’est une série d’auteurs. Dès que j’ai commencé à travailler avec Jean-Baptiste je l’ai aimé en tant qu’auteur. Souvent quand on travaille une scène, il y a de la compétition et c’est super excitant. Je ne peux pas envoyer une scène moyenne à Jean-Baptiste. Nous avons une volonté d’excellence d’abord parce que nous travaillons à deux.
Jean-Baptiste Delafon. Dans la saison 1, il y a quelques scènes qui illustrent parfaitement cette compète. La scène avec François Boudard dans l’épisode un. Elle est surboostée dans le langage. C’est très extrême ce qu’ils disent.
Eric Benzekri. Oui le « Il a un dossier gros comme ma bite »…
Jean-Baptiste Delafon. Tout cela survient en fin d’écriture. Nous savons très bien que si nous étions du matin au soir sur le mode, je la ramène, cela ne fonctionnerait pas. Cela nous est arrivé de nous le dire d’ailleurs.

 

© Canal Plus

 

ILTVSW. Baron Noir est une réussite mais la série repose tellement sur Rickwaert que si vous n’aviez pas bénéficié du bon Rickwaert, elle aurait pu être totalement loupée. En avez-vous eu conscience ?
Eric Benzekri. Tout le temps, tous les jours. A l’écriture et pendant le tournage. Cela dit assez vite, nous avons senti que le fait de nous appuyer sur un personnage était le point fort de la série.
Jean-Baptiste Delafon. Notre série précédente, La Présidentielle, qui n’a pas été mise en production, était une série à deux personnages qui étaient d’ailleurs un petit peu les deux faces de Rickwaert, c’est un truc qu’on s’est dit récemment. La politique, c’est compliqué, si en plus on part sur plusieurs personnages, en huit épisodes, c’est injouable… Finalement, un seul personnage central, c’était un moindre risque. L’idée, c’était un mec qui emporte tout.

ILTVSW. Est-ce l’impuissance en politique finalement votre sujet ?
Eric Benzekri. Oui. C’est de cela dont Baron Noir parle. Impuissance sur la question européenne, sur la réforme de l’éducation, des idéaux… Tout s’écroule tout le temps.
Jean-Baptiste Delafon. Ce qui demeure c’est la dimension initiatique de la politique comme apprentissage d’un regard sur le monde, émancipation intellectuelle. Mais, aujourd’hui, on est à l’image du pays.

 

Ce qui compte, ce n’est pas le réel, c’est la crédibilité. 

 

ILTVSW. Dans la série vous mettez un nom sur un parti politique, le PS, dans quelle mesure une série politique doit-elle coller au réel pour être bonne ?
Eric Benzekri. Ce qui compte, ce n’est pas le réel, c’est la crédibilité. Il est important de nommer les choses donc c’est le parti socialiste et c’est Mediapart. Cela comptait.
Jean-Baptiste Delafon. Je pense que cette dimension documentaire sur le monde est l’une des promesses de la série contemporaine. Cette strate est nécessaire. Nous travaillons à partir de cela. Nous tentons de transcender pour mieux dire le réel. Pour comprendre le monde dans lequel nous vivons.

ILTVSW. Dans quelle mesure avez-vous eu le final cut sur la série ?
Jean-Baptiste Delafon. Le final cut était collégial.
Eric Benzekri. Si on disait non, c’était non.
Jean-Baptiste Delafon. De même que si Ziad disait non.
Eric Benzekri. Si, sur une proposition de coupe, nous disions non droit dans les yeux en étant méchants, c’était non. En fait, tout était une question de négociations entre Thomas Bourguignon (NDLR, le producteur), Ziad et Canal Plus.
Jean-Baptiste Delafon. Cela faisait du monde. Il nous est arrivé de rester sur deux répliques pendants des heures.
Eric Benzekri. Mais Baron Noir est notre série. Nous en sommes hyper fiers. Et nous l’assumons à 100 %.

ILTVSW. La réalisation est moins forte que l’écriture de la série… Confier son bébé à un réalisateur, c’est forcément impressionnant ?
Jean-Baptiste Delafon. Moi, je trouve que Ziad a réussi des trucs incroyables.
Eric Benzekri. Le mec fait les huit épisodes.
Jean-Baptiste Delafon. Nous n’avions pas le pouvoir de direction artistique. Nous avons travaillé avec un réalisateur de cinéma qui a de l’autorité et de la maturité. Nous avons donc plus travaillé en mode auteurs-réalisateur à la française. Sauf qu’on était vraiment là, qu’on a mis des limites et qu’on l’a accompagné en permanence. Pas du point de vue esthétique mais sur le sens des choses.
Eric Benzekri. C’est difficile de confier sa série à un autre mais cela s’est très bien passé. Vraiment, nous avions très très peur au début.
Jean-Baptiste Delafon. Même de Ziad sur certains aspects parce que c’est un dingue dans le bon sens du terme.
Eric Benzekri. Dans un moment de tension, il y a eu cette formule. On a dit : « Ecoute Ziad, tout ce qui est le texte est à nous, tout le reste est à toi ». Il a répondu : « Attention, ce que tu dis là, c’est très grave. C’est beaucoup tout le reste. » Moi, je pense que le reste n’est rien. Car la série, c’est la primauté à la narration. Donc, quand tu as le texte et que tu en es garant tous les jours sur le plateau, en fait, tu peux trouver de bons compromis. Moi, je ne suis pas réalisateur. Jean-Baptiste l’est plus que moi et je pense que cette transmission du bébé au réalisateur est plus difficile pour lui. Cela va le devenir pour moi maintenant.
Jean-Baptiste Delafon. Il y a vraiment une donnée qu’il faut considérer par ailleurs. La production en France est de l’artisanat total. La création ne bénéficie pas d’un outil industriel qui s’est construit depuis des décennies comme aux Etats-Unis.
Eric Benzekri. Cela dit Baron Noir est plus que notre bébé. Nous avons tout donné. Tous nos talents sont dans la série. Nous sommes capables de faire une saison 2 et une saison 3.

 

Piccoli qui clope, c’est cela qu’on veut.

 

ILTVSW. Kad Merad est formidable dans la peau de Rickwaert mais il était loin d’être un choix évident… Aviez un droit de veto sur le casting ?
Jean-Baptiste Delafon. Kad a fait des essais. Et c’était plié. Il a passé deux scènes dont celle dans laquelle il arrive à convaincre Mehdi, le leader étudiant. Moi, j’ai eu des frissons en le voyant jouer. J’ai pensé à mon père, à plein de choses. Avec Eric, nous sommes des fans de Sautet. D’un certain cinéma des années 70. Du mâle dominant à l’ancienne mais à la Française.
Eric Benzekri. Piccoli qui clope, c’est cela qu’on veut nous.
Jean-Baptiste Delafon. J’étais très angoissé le matin des essais et très heureux le soir. J’ai senti cela traverser.

ILTVSW. C’est un phénomène très minoritaire mais certaines voix reprochent à la série en dépeignant ce qu’elle dépeint de prendre le risque de faire monter le FN…
Eric Benzekri. Il y a un danger à parler de politique tout le temps puisque le FN est haut. Face à cette situation, il y a deux choix. Soit on ne parle plus de politique et on laisse la place au FN. Et donc on va passer de 20 % à 30% de 30 % à 40 % et de 40 % à 51 %, voilà. Soit on parle de la politique, on dit ce qu’elle est et on donne les prises pour changer la vision qu’on en a. Nous pensons qu’avec Baron Noir nous ne faisons pas une série qui flingue la politique. Au contraire, c’est une série qui l’humanise. A partir de là, c’est une bonne clé pour les gens qui veulent combattre le FN. Mais, nous ne faisons pas de tract.
Jean-Baptiste Delafon. La plupart des gens pensent que les hommes politiques sont pourris. Nous, on affirme qu’ils sont pourris mais pas seulement. Infuser sur le pas seulement, c’est déjà cela. Dans ce pas seulement, il y a de la sincérité, de l’humanité, de la construction intellectuelle.
Eric Benzekri. Il n’y avait pas de série politique en France. La politique était réservée aux politiques et aux journalistes politiques. Cela crée un petit choc. Les citoyens, les auteurs, les artistes doivent s’en emparer. Sinon, ce n’est pas sain. Ce n’est pas citoyen. Baron Noir permet de s’interroger autrement. Nous ce qu’on aime dans l’écriture sérielle, c’est qu’elle donne à réfléchir.

ILTVSW. Vous êtes vous posé la question de la responsabilité dans un climat où la classe politique traditionnelle souffre d’un discrédit ?
Jean-Baptiste Delafon. Il y a évidemment plein de moments où nous nous sommes pris la tête, angoissés. Evidemment, la question de la responsabilité s’est posée dans la pratique de l’écriture. L’idée de casser les urnes, de taper du pognon dans une caisse, ce n’est pas par plaisir… Il n’était pas question de décrire un monde où on a le sentiment que la justice est aux ordres de la politique totalement. Ce n’est pas vrai. Certains magistrats sont sous influence mais d’autres non.
Eric Benzekri. En fait, ce que dit la série, c’est que nous sommes dans un état de droit. Ce qui est très important. Nous n’avons jamais cessé de nous poser cette question de la responsabilité. Nous ne sommes pas des pyromanes.

© 2016 ILTVSW – La reproduction partielle ou entière de cet entretien n’est pas légale sans l’accord préalable de ILTVSW.

La semaine prochaine dans ILTVSW … Oups, pas encore tranché, désolée.

In the mood for mood #1

31 Jan

FRA/ENGLISH

Cher lecteur,

Toi, oui, toi de l’autre côté de l’écran. Je sais ce que tu penses. Et tus as raison. Je suis nulle en référencement. Exactement comme si je voulais m’assurer que mes êtres aimés les plus chers ne soient jamais en mesure de découvrir des « trucs » sur moi. Et, avec le titre de ma dernière rubrique, oui, je me sens en sécurité. Ils ne se rendront jamais compte que j’ai passé mon dimanche matin à t’écrire en prétendant que je travaillais… Commençons donc ce In the mood for mood.

Les dictons sont très pratiques pour un critique TV qui n’a juste aucune envie de s’étendre sur un sujet. Il nous suffit de fermer les yeux, comme un vieux sage de 107 ans et de murmurer : « Ouais, enfin, bon, quoi, rien de nouveau sous le soleil ». Le gars en face de nous n’y comprendra pas grand chose. Mais comme nous sommes des critiques (cad des humains payés pour regarder la télé avec du vrai argent et donc secrètement haïs par leur BFF qui veut lui aussi faire ce soi-disant boulot et donc culpabilise et donc dépense son vrai argent chaque semaine sur le divan d’un psy pour surmonter tout ça) le gars en face de nous fera comme s’il comprenait. Et murmurera ensuite tête de biiip derrière notre dos.

Les dictons peuvent aussi être exacts. En France, par exemple, on dit : après la pluie vient le beau temps. En d’autres termes, moins poétiques, qu’une situation merdique ne peut pas être éternelle. Une affirmation susceptible de provoquer de violentes réactions chez quelqu’un qui exerce ma profession. Car, il arrive, de temps en temps, que nous méritions le qualificatif de forever shit watchers. Ce qui est moins glamour. Mais bien meilleur pour notre vie sociale.

Alors, pardonnez-moi, les amis. 2016 a à peine débuté et il fait déjà un soleil magnifique. A tel point qu’il m’a fallu d’urgence créer cette nouvelle rubrique pour exprimer combien le boulot est excitant. Jusqu’à dimanche, je vais passer un temps fou à penser à Corneille. Car, aussi dingue que cela puisse paraître, je vais devoir choisir entre deux séries françaises le week-end prochain. Chacune d’entre elles méritant son post sur ILTVSW pour des raisons différentes.

La première Baron Noir, est la dernière création de Canal Plus. La première série politique française un peu sérieuse à mes yeux. Une immersion dans le combat d’un député pour revenir du milieu de nulle part électoral où une affaire financière l’a relégué. Vu d’Angleterre, cela peut n’avoir rien de nouveau mais de France, c’est follement excitant à la Borgen. Plus exactement comme si Borgen était sous l’influence de Dark Vador. Un paradis pour critique TV.

La seconde Trepalium, et son pitch audacieux, est née sur Arte. 80 % de chômeurs vivent derrière un mur dans la pauvreté totale et de l’autre côté, 20 % d’actifs s’accrochent à leur boulot à tout prix. Hantés par l’idée d’être relégués dans le camp des zonards. Avec sa réalisation très stylisée, c’était sans doute la série la plus attendue de la saison télé française. Si les trois premiers épisodes sont effectivement très intrigants, les trois derniers échouent à tenir la promesse. Mais l’ensemble donne tant à écrire et à questionner, que là aussi c’est le paradis.

Rendez-vous la semaine prochaine sur ILTVSW, j’aurai tranché ; )

Baron Noir © Canal Plus

Dear reader,

Yes, you behind the screen, I know what you think. And you are right. I suck at SEO. Just as if I wanted to make sure that my closest loved ones would never be able to discover « stuff » about me. And with my latest column title, yes, I feel safe. They will never find out that I spent my Sunday morning with you pretending I was working… Anyway. So let’s start that in the mood for new thing.

Sayings are not only very convenient, you know, when you just don’t feel like doing the talking. Especially for TV critics. We can just close our eyes, wisely, like if we were 107 years old and say : « Yeah, same old same old. » The guy in front of us will not understand. But because we are critics (aka humans paid to watch TV with real money secretly hated by their BFF who want the so-called job and feel guilty about it and spend their real money each week on a shrink sofa trying to get over it) he will pretend he does and than whisper dickhead in our back.

Sayings are also sometimes true. In France, for example, we say that after the rain comes the sun. In others words that shit can’t be forever. A statement that can cause violent reactions from people like me. Because from time to time what we want to answer is that the truth is that we deserve to be called forever shit watchers. Which is less glamorous. But better for our social life.

Forgive me my friends. 2016 has just begun and it’s totally sunny. So sunny that I needed to create In the mood for mood to express how much the job was exciting. Next week is going to be very much about Corneille. Believe it or not I will have to choose between to French series. Both of them deserving its own post.

The first one is Baron Noir Canal Plus latest creation. A political series. A production that I consider to be the first serious French political TV show. The story of the fight of a congressman to comeback from the nowhere political land he is because of a financial case. View from Britain yes it seems same old same old but on French TV it is crazily exciting Borgen like. Except it is Dark Vadory Borgen like. Not perfect very interesting to watch and tons of things to analyze and write about. On French TV scale, a TV critic paradise.

The second one is Trepalium on Arte. And its audacious pitch. 80 % of the unemployed are living behind a wall in total poverty and on the other side 20 % of the guys who do have a job, try their best to keep it and to stay away from the losers who didn’t make it. Highly stylized the show was probably the most exciting promise of the whole French TV season. If the first three episodes are very intriguing the last three fail to keep the promise. But still there is so much to write about and to question that on French TV scale, it is a TV critic heaven.

See you next week in ILTVSW… I will have made up my mind ; )

ILTVSW craque aussi pour … / also loves : The Honourable Woman

28 Juin

FRA/ENGLISH

La nuit dernière, j’ai fait un rêve étrange. J’étais avec une vieille femme qui me racontait des histoires aussi complexes que fascinantes. Des trucs sur le genre humain. Sur les choix que nous sommes contraints de faire pour rester vivants. La tentation de la faiblesse à laquelle nous devons résister. La bravoure que nous découvrons en nous lorsque des questions de vie ou de mort nous sont posées.

Et puis, je me suis réveillée. Et j’ai réalisé qu’en dépit de ce que nous raconte l’industrie hollywoodienne, trente-sept ans est loin d’être un âge canonique pour une femme. Et j’ai souri. Me souvenant du voyage incroyable que je venais de faire grâce à Nessa Stein de la série The Honourable Woman. Et de la magnifique performance de son actrice principale, Maggie Gyllenhaal, trente-sept ans, qui a offert une bonne partie d’elle-même pour devenir la femme d’affaires israélo-britannique supporter de la paix qu’elle y incarne.

Le plus souvent les histoires sont racontées pour divertir. Plus rarement, elles relèvent du champ magnétique. Tellement singulières qu’elles impriment pour longtemps notre mémoire. La série de Hugo Blick, qui débute cette semaine en France sur Canal Plus, appartient indiscutablement à la seconde catégorie. En tricotant brillamment, dans les codes du thriller, le drame personnel d’une femme et la complexité du conflit au Moyen-Orient, le créateur signe une série unique.

Série made in the UK. Magnifique et puissante. Potentiel BFFF : total. À regarder pour aimer, pour sourire, pour pleurer, pour réfléchir.

La semaine prochaine sur ILTVSW … Oups, pas encore tranché, désolée.

Maggie Gyllenhaal (Nessa Stein)

Titre/Title : The Honourable Woman
Créateur/Creator : Hugo Blick
Cast : Maggie Gyllenhaal (Nessa Stein), Andrew Buchan (Ephra Stein), Lubna Azabal (Atika Halibi)
Maths : 1 saison/Season
Chaîne/Network : BBC, Sundance / Canal Plus (France)

Last night I had a strange dream. I was chatting with an old lady. And she was telling me a complex and fascinating story. Stuff about mankind. About the choices we have to make to stay alive. The temptation of being weak individuals we need to resist to. The bravery we discover in ourselves under life and death circumstances.

And then I woke up. And I realized that despite what the Hollywood industry is telling us, 37 is far away from old for a woman. And then I smiled. Remembering myself the incredible journey I had just gone through thanks to Nessa Stein from the show The Honourable Woman. And the incredibly powerful actress Maggie Gyllenhaal, 37 years old, who gave a huge part of herself to become the bristish-israeli peacemaker and businesswoman. 

Most of the time, storytelling is entertaining. Sometimes it is magnetical. As in singular and deeply impressed in our memory. The Hugo Blick TV show starting this week on Canal Plus in France belongs to the latter category. Brilliantly weaving, in the thriller genre, the personal drama of a woman with the complexity of the Middle East conflict, the creator offers an intense TV show.

Made in the UK TV show. Beautiful and powerful. BFFF potential : total. To watch to love, to smile, to think, to cry.

Next week in ILTVSW … Oops, not decided yet, sorry.

Retrouvez ce billet dans la sélection Séries Mania

ILTVSW guest star: Bruno Gaccio

24 Mai

FRA/ENGLISH

Bruno Gaccio, auteur et découvreur de talents à la tête de La Fabrique pour Canal Plus, a accepté l’invitation de ILTVSW à l’occasion du lancement de la saison 3 de Hard. De la naissance des projets, à son rapport avec les scénaristes, en passant par le lien étroit entre la dramaturgie et le golf, jusqu’au miracle que constitue une série réussie, il se livre dans une interview fleuve et gastronomique.

To my readers, exceptionally ILTVSW will only be French speaking this week. Bruno Gaccio, the French writer & producer for Canal Plus, where he helped to reveal new writers, is the guest star of the blog today. But as soon as next week things will be back to normal meaning French & English.

 

 

ILTVSW. Vous avez longtemps été à la tête de La Fabrique de Canal Plus, chargé de découvrir et d’aider de nouveaux talents à éclore. Hard, dont la saison 3 débute dans huit jours, est l’une des séries qui y est née. Existe-t-il un processus de création idéal ?
Bruno Gaccio. Le processus de création idéal n’existe pas. Dans l’industrie de la télévision, la création peut venir de n’importe où. De l’intuition de quelqu’un qui pense qu’un sujet peut intéresser un public, par exemple. Dans le cas de Hard, cela naît d’un échec. Nous avions fait Les interminables avec Gilles Galud (producteur à la tête de La Parisienne d’Images, NDLR). C’était une série avec que des vieux. Des vieux qui étaient condamnés à mort s’ils n’avaient pas de quoi gagner leur vie. Donc, les personnages faisaient à peu près n’importe quoi y compris du cinéma porno. La série traitait de la mort, de la pauvreté, de l’impossibilité de s’en sortir. C’était déprimant donc elle n’a pas fonctionné. Avec Gilles, le lendemain des résultats, on était déprimé, on buvait du café, on fumait des cigarettes dans son bureau et on rigolait en se disant : « Le prochaine fois, on ne met que des nanas de 20 ans à poil. Puisque c’est ce qu’ils veulent, on va leur donner et on fera un succès ». Et puis, en réfléchissant au pourquoi on s’était planté, j’ai dit : « Pourquoi, on ne fait pas une comédie romantique qui se passerait dans l’univers du porno ? ». Voilà comment un producteur et une chaîne peuvent trouver une idée.

 

Un auteur doit tout te donner

 

ILTVSW. Cela n’aurait pu rester qu’un concept, comment êtes-vous parvenus à lui donner l’épaisseur et la fantaisie qui caractérisent, en plus, la série ?
Bruno Gaccio. Nous nous sommes dits qu’un acteur porno n’était pas qu’une machine à baiser, c’était un être humain. Ce type ou cette femme pouvait donc tout à fait être amoureux de quelqu’un, rentrer le soir chez lui épuisé, se poser devant la télé comme on le fait tous quand on est crevé sans réfléchir à rien. La question que nous nous sommes ensuite posée est : comment vit-on cette situation ? On ne peut pas créer pour rien, on crée pour une chaîne. Cette chaîne est la première à avoir diffusé du porno donc elle était tout à fait légitime pour produire une série comme Hard sans que cela soit incongru. Le support était le bon, l’idée n’était pas mauvaise, nous avions une structure pour le faire, qu’est-ce qui nous en empêchait ? Nous avons lancé un appel à projets. Nous en avons reçu 110. Très vite, nous nous sommes dits que nous aimerions retenir celui d’une femme car si nous ne mettions que des mecs autour d’une table, cela serait une catastrophe. Nous en avons retenu deux celui de Cathy Verney et celui d’un autre scénariste. Elle a été la mieux disante notamment parce qu’elle vient d’un milieu bourge et que sa façon de traiter les à-côtés, les verrines, la vallée de Chevreuse … était bien meilleure. Elle ne connaissait rien au porno, c’est nous qui l’avons alimentée.

ILTVSW. La Fabrique a accueilli de nombreux nouveaux auteurs, comment avez-vous travaillé avec eux ?
Bruno Gaccio. Pour moi, il y a des étapes. Les premières semaines, il faut dire aux auteurs : « Fais ce que tu veux. Je veux tout ce qu’il y a dans ta tête donc il y a zéro limite ». Il faut qu’ils osent tout. Il faut qu’ils rendent tout : des scènes, des notes, des dialogues, des personnages … Dans le désordre, ce qui est important, c’est de tout mettre sur la table. Un auteur doit tout te donner. Je sais que je travaille pour la télévision et qu’il devra faire 26, 52 ou 90 minutes. Il ne peut pas me donner un film de deux heures, ni un court métrage. Mais ça, je n’ai pas à lui dire. Une fois que tout sera sur la table, on fera des réunions assez longues pour voir ce qui va dans la direction qu’il a choisie. Sauf qu’il y a un support, la télévision qui a une ligne éditoriale, qui veut certaines choses et pas d’autres. Mon rôle est d’emmener l’auteur dans ce cadre sans qu’il s’en aperçoive et sans le brimer parce que s’il nous livre quelque chose qu’on ne peut pas diffuser, il aura travaillé pour rien et nous on aura perdu de l’argent. Tout le travail, c’est ça.

 

 

 

ILTVSW. Et ce désordre finit un jour par prendre du sens …
Bruno Gaccio. Ce qui nourrit l’histoire fait que le personnage naît. Et, à un moment du processus, une évidence surgit. C’était comme ça que cela devait être. C’est évident. Les auteurs reconnaissent ce moment-là et les producteurs, aussi. Ils disent : « Cette femme est comme ça, elle a tant d’enfants, elle fait ce métier-là ». Pour Hard par exemple, tout ce qu’elle fait, c’est pour nourrir sa famille. La seule chose qui la pousse, c’est d’être autonome.

ILTVSW. Si c’est évident pourquoi y-a-t-il des séries évidemment réussies et d’autres moins réussies ou même ratées ?
Bruno Gaccio. J’explique cela très facilement. C’est un peu comme au golf, si ton club est ouvert d’un degré à droite ou à gauche, à l’arrivée ta balle va être vingt-cinq mètres à droite ou vingt-cinq mètres à gauche. Dans le processus créatif, c’est pareil. Si tu rates un petit peu le début, tu construis sur du bancal et, à la fin, tu es à côté de la plaque. Nous, on a réussi, allez, je vais dire, un projet sur trois. Pour un qui était acceptable, il y en avait un réussi et un raté. Le pire, c’est peut-être l’acceptable. Le raté, c’est pas grave, tu es allé au bout et tu t’es planté. Alors que dans l’acceptable, tu es 10% à côté de tout, donc pas loin. Tu te dis l’idée est bonne mais quand tu vois l’idée, c’est trop tard. Il y a toujours quelqu’un qui voit venir ces 10%. Si ce n’est pas moi, c’est de ma faute car je n’ai pas écouté. Si c’est moi, c’est de ma faute car je n’ai pas réussi à les recadrer. Quand tu crées une série, entre  l’idée et ce qui arrive sur l’écran, il y a un nombre incroyable de filtres. Un auteur qui travaille, des dialoguistes qui vont venir aider, des script doctors qui vont mettre leur nez dedans puis un styliste qui ne voit pas la même chose … Et le producteur qui ne doit pas bouffer sa marge. Ensuite, tu as un réalisateur qui a une vision. Avec Gilles, on avait raccourci le circuit de décision. La chaîne travaillait avec les auteurs. Ce qui ne se passe jamais. Ils voient les showrunners, les producteurs, jamais les auteurs, je pense que c’est une erreur. Il faut être dans la pièce avec les auteurs. A la limite, le chef de projet devrait être le showrunner car c’est le seul moyen d’obtenir une unité.

 

 

ILTVSW. Donc, il faut admettre que le risque est toujours l’une des variables …
Bruno Gaccio. Le processus créatif ne fonctionne pas à chaque fois. Pour que ça marche, il faut un alignement de planètes formidable. Il faut que l’idée soit bonne et que le sujet soit le bon, c’est le plus important, plus que l’écriture. Ensuite, il faut trouver la bonne personne pour qu’elle l’écrive dans l’air du temps pour que les gens puissent l’accepter. Il faut après que le réalisateur comprenne qu’il n’est pas le maître du projet mais le serviteur du projet. S’il commence à vouloir faire de l’art, tu es mort. En France, la législation, lui donne le statut d’auteur et il le croit. Ces cons de techniciens ont cru qu’ils étaient des auteurs. Certains d’entre eux le sont, évidemment. Mais ils sont très rares. Dans les contrats, ils sont engagés comme techniciens mais ils n’acceptent pas de l’être. Alors cela donne des trucs comme dans une scène où un personnage est en colère, un réal qui veut que cela soit joué « tout en douceur ». Quand tu tombes sur un réal comme ça, c’est fini, tu ne peux rien faire parce que c’est son plateau et toi, tu fermes ta gueule. Tu essayes ensuite de rectifier au montage mais tu n’arrives pas à le faire car tu n’as pas les bonnes prises. Donc, tu es 10% à côté partout.

ILTVSW. Comment avez-vous choisi les auteurs qui ont fait partie de La Fabrique ?
Bruno Gaccio. Nous n’avons jamais travaillé sur un projet. Nous avons sélectionné des gens qui avaient quelque chose de particulier. Après on leur a dit : « Ton histoire de scarabée qui tombe amoureux d’une araignée homosexuelle, on n’est pas très convaincu mais si tu remplaces le scarabée par un unijambiste et qu’au lieu d’une araignée homosexuelle, tu mets un héron … » C’est selon ce que l’auteur a dans la tête que tu détermines toi, producteur, que c’est intéressant ou non de payer pour ça. Il y a une part de risques que tu limites à ta vision des choses. Si je crois en quelqu’un, je paye pour voir. Si je perds, c’est pas grave parce que j’y croyais.

 

Je sais que je vais mourir et que Dieu n’existe pas

 

ILTVSW. Vous avez souvent été les chercher sur le terrain de la comédie  …
Bruno Gaccio. Je suis personnellement profondément désespéré. Je sais que je vais mourir et je sais que Dieu n’existe pas. Ça fait deux paramètres un peu lourds. La comédie, c’est un point de vue. Je pourrais traiter les choses de façon dramatique ou intellectuelle mais je préfère les traiter en comédie parce que c’est mon point de vue. Mon travail consiste à apprendre à connaître quelqu’un, ce qu’il a en lui et, surtout, ce qu’il est capable de donner. Tu vas commencer à travailler autour d’un projet, ça dure quelques semaines et puis après, tu bois un verre. Tu demandes : « T’es marié ? Comment ça se passe ? Tu es désespéré ? Optimiste ? Pessimiste ? Qu’est-ce que tu penses de la politique ? Et ses blessures remontent. Ces blessures, elles disent la profondeur de quelqu’un et de ce qu’il est capable de te donner. Plus il va profond, plus il va te donner des choses profondes. Si c’est quelqu’un de totalement superficiel, il va te donner des choses superficielles, probablement des clichés. Il ne s’agit pas d’agiter les bras, ni de faire le malin. Tu as des gens authentiquement drôles et d’autres qui se forcent à l’être. Ça, tu le devines en discutant avec les gens.

ILTVSW. Finalement, il y a peu de séries singulières en France et de nombreux auteurs talentueux. Comment l’expliquez-vous ?
Bruno Gaccio. Il y a beaucoup de talent en France chez les auteurs, il y en a peu chez les producteurs. Je pense que nous ne manquons pas d’auteurs mais de producteurs. De producteurs capables d’être producteurs artistiques c’est-à-dire capables d’aider quelqu’un à accoucher. J’ai rencontré des gens capables de payer un auteur pour qu’il travaille mais qui sont incapables de se mettre à table avec lui. Picoler avec lui, fumer des clopes avec lui et lui dire « tu fais de la merde » et que l’auteur ne lui en veuille pas. Je ne suis pas le producteur sur Hard mais j’ai dit à Camille Pouzol, si tu travailles toute seule dans ton coin et que tu m’envoies des textes, cela ne marchera pas. Je vais mettre huit jours à écrire la note de lecture, tu vas mettre trois jours à pleurer et à réécrire, on va perdre un temps fou. Je lui ai dit : « Dès que tu écris un truc, tu viens au bureau, on travaille. Tu n’arrives pas à faire un truc, tu viens, tu as réussi un truc et tu le trouves bien, tu viens. Tu es tout le temps là ». Nous avons travaillé un an comme ça parce que je suis auteur et que je sais coacher des auteurs. Je sais tirer d’eux ce qu’ils ont de meilleur. Nous manquons de producteurs capables de faire ça.

Titre : Hard
Créatrice : Cathy Verney
Scénariste saison 3 : Camille Pouzol
Cast : Natacha Lindinger, François Vincentelli, Charlie Dupont, Stephan Wojtowicz, Fanny Sydney, Michèle Laroque.
Chaîne : Canal Plus

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La semaine prochaine dans ILTVSW … Oups, pas encore tranché, désolée.