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Ta #série, toi et nous : Lost

11 Avr

Parce que c’est l’un des derniers endroits qui nous rassemble. Parce que nous avons plus que jamais besoin d’être ensemble. Et parce que… nous allons passer beaucoup de temps sur le canapé, voici « Ta série, toi et nous ».

Je reçois ici un (e) invité (e) dont j’aime l’écriture, la voix et/ou le regard à partager sa relation avec l’héroïne ou le héros de sa vie. Merci infiniment à Marc Herpoux d’avoir accepté mon invitation

Marc Herpoux, scénariste

Qui est le seul personnage qui peut quelque chose pour toi ?
John Locke, dans « Lost ». Ce simple employé né le 30 mai 1956, d’abord vendeur dans un magasin de jouets, avant de finir assistant dans une entreprise de fabrique de boîtes en carton, ce personnage, oui, peut beaucoup pour moi. John Locke a perdu l’usage de ses jambes après une chute de huit étages. Une chute provoquée par son propre père… et pourtant, il répète en boucle: « Don’t tell me what I can’t do ! » … Lui qui a été abandonné par son père, puis martyrisé par ce dernier une fois retrouvé, deviendra pourtant la figure paternelle de tous les autres naufragés. Une figure à la fois mystérieuse et bienveillante, protectrice et combattante. Il deviendra un professeur pour Walt, un guide pour Charlie, un tuteur pour Claire, un éducateur pour Boone. John Locke prend soin des autres, tout en se montrant autonome et indépendant. Cet être solitaire regarde le monde tel qu’il est. Un monde fait de clair-obscur, en perpétuel équilibre entre le Ying et le Yang. Tu ne peux avoir de nuit sans jour, et de jour sans nuit. Il sait qu’au fond de nous, nous sommes capable du meilleur comme du pire, raison pour laquelle nous avons tous droit à une seconde chance… lui le premier !
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D’accord, il a changé ta vie mais comment ?
John Locke m’a montré à quel point le rationalisme de Jack a ses limites, à quel point la bienveillance de Jack n’est pas une sagesse. « We’re free » répète Jack en boucle, comme pour mieux s’en convaincre. « No », répond John, « We have a destiny. You know that you’re here for a reason. And if you leave this place, that knowledge is gonna eat you alive from the inside out, until you decide to come back ». Personne ne pourra quitter l’île, John le sait. Moi non plus ! Voilà ce que m’a enseigné John. Mais prend la peine de l’écouter, écoute ce qu’elle a à te dire. Si l’île n’a pas de sens en soi, elle peut en avoir pour moi ! Merci John ! Moi qui était plutôt du côté de Jack au début, John m’a ouvert les yeux : Jack est chiant ! Il pleurniche sans arrêt sur l’absurdité de son existence, là où John sait sublimer chaque feuille que l’île porte en elle. John reste admirable, même lorsqu’il s’effondre et tombe à genoux, noyé par le désespoir, suppliant l’île de lui offrir un signe… Et paf ! Voilà que la trappe s’illumine ! Voilà que soudain son regard brille, que son visage rayonne enfin. John n’en demandait pas tant.

 

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Et il pourrait quoi pour la nôtre ?
John nous pousse à continuer, encore et toujours. A continuer de creuser, de chercher, de comprendre. Il sait que la vie n’est qu’un jeu. L’île n’est rien d’autre qu’un plateau de backgammon, parfois un échiquier… au pire un Risk ! A nous d’inventer les règles du jeu… mais toujours à partir de ce que l’île nous donne. John n’a pas la mystique d’un Eko. Il n’est pas prêtre, il n’a rien à prescrire. C’est un simple chasseur. Mais un chasseur hors-pair. Un chasseur qui pousse à chasser. John ne veut pas qu’on le suive. Il ne veut pas de disciple. Il ne prêche rien. Il parle d’ailleurs très peu. Il porte le nom d’un philosophe — John Locke — mais il aurait pu tout aussi bien s’appeler Nietzsche et dire comme lui : « Il m’est autant odieux de suivre que de guider ». John a trouvé son chemin, et nous encourage à trouver le nôtre en répétant inlassablement au fil des épisodes : « To be continued ».

ILTVSW craque aussi pour/also loves… Au-delà des Murs

18 Sep

FRA/ENGLISH

Il arrive qu’une série ne soit que de la télé et c’est OK. Cela peut même être extrêmement divertissant. Et nous, les êtres humains, avons besoin d’être divertis pour oublier l’huile de palme dans le Nutella, le réchauffement climatique, les sondages politiques et/ou le vieillissement de Tom Cruise. Il arrive aussi qu’une série ne soit pas que de la télé. Mais une proposition profonde, intime et irrésistible. Car les gens sur le petit écran se débattent avec nos névroses à nous.

Au-delà des Murs créée par le talentueux duo Hervé Hadmar et Marc Herpoux, ce jeudi sur Arte, n’est pas que de la télé. Ses auteurs ont fait un pari extrêmement risqué. Une minisérie fantastique pour 2 millions d »euros et en 29 jours de tournage. Le résultat est étonnamment stylisé et puissant. Lisa une jeune célibataire dépressive hérite d’une vieille maison. Rapidement, elle entend des bruits au-delà des murs. Elle les suit et se perd dans un labyrinthe de couloirs. Elle devient rapidement prisonnière de la maison. Et nous aussi.

Car tout cela n’est qu’une métaphore pour illustrer la souffrance de son pauvre cerveau traumatisé par la disparition de sa soeur. Comment accepter de dire au revoir pour toujours à ceux que nous aimons profondément ? Comment nous libérer de la culpabilité et de la peine ? Des questions évidentes certes. Mais essentielles. Le cheminement de Lisa n’est pas juste de la télé. C’est de la vie qu’il s’agit.

Potentiel BFFF (Personnage préféré pour toute la vie): réel. Regarder : pour trembler, pleurer, aimer.

La semaine prochaine dans ILTVSW… Oups, pas encore tranché, désolée.

 

 

Titre/Title : Au-delà des Murs
Créateurs/Creators : Hervé Hadmar & Marc Herpoux avec Sylvie Chanteux
Maths : 1 saisons/season
Chaîne/Network : Arte
En France : 22 septembre à 20h55

Sometimes it is just TV and it’s OK. Just TV can be highly entertaining. And we human beings need to be entertained to forget the palm oil in the Nutella, the global warming, the political polls and/or Tom Cruise aging. But sometimes it is not just TV. It is a profound, intimate and overwhelming experience. Guys on the small screen are just dealing with our neurosis.

Beyond the walls by the talented French duet Hervé Hadmar and Marc Herpoux this week on Arte is not just TV. The creators made an highly risky bet. A fantastic miniseries for 2 millions euros and with 29 days of shooting. The result is amazingly stylized and powerful. Lisa a depressed single girl inherits an old house. Soon she ears noises from beyond the walls. She follows the noises and loses herself in a labyrinth of corridors. She becomes the prisoner of the house. And we too.

Because all of this is just a metaphor to illustrate her poor brain suffering from the loss of her young sister. How do we accept to say goodbye forever to those we deeply love ? And how can we free ourselves from the guilt and the pain ? These are obvious questions yet essential. Lisa’s journey is not just TV. It is life.

BFFF (Best fiction friend forever) potential: total. Watch to freak out, to cry, to love.

Next week in ILTVSW… Oops, not decided yet, sorry.

ILTVSW guest stars: Marc Herpoux et Hervé Hadmar, les co-créateurs des Témoins

22 Mar

FRA/ENGLISH

Marc Herpoux et Hervé Hadmar, co-créateurs de la série Les Témoins, ont accepté l’invitation de ILTVSW à l’occasion de son lancement sur France 2. De la naissance de leur dernier projet, à leur regard sur le travail, en passant par leur héroïne féminine jusqu’à la réalité de la création en France aujourd’hui, ils se livrent dans une interview franche et fleuve.

To my readers, exceptionally ILTVSW will only be French speaking this week. The French creators Marc Herpoux et Hervé Hadmar, of the TV show Les Témoins, (France 2) a cop procedural thriller questioning the principle of the ideal family, are the guest stars of the blog today. But as soon as next week things will be back to normal meaning French & English.

ILTVSW. Vous êtes aujourd’hui des auteurs reconnus à la fois par la critique et le public sériephile. Une série Hadmar-Herpoux n’est donc plus une surprise, c’est un événement. Comment travaille-t-on quand tout le monde vous attend ?
Marc Herpoux. La préoccupation première est de ne pas se répéter. Avec Les Oubliées et Signature nous étions allés vers ce que nous savions faire. C’est-à-dire une proposition contemplative. Nous partageons tous les deux le goût pour les atmosphères, les climats, la plongée dans la tête d’un personnage puis son exploration. D’abord, je ne sais pas si on nous laisserait encore faire ce type de travail. Par ailleurs, nous n’avons pas envie de nous répéter comme certains auteurs qui au bout du quatrième, cinquième ou sixième film continuent à ne faire que ce qu’ils maîtrisent. Nous avons envie de nous mettre en danger. De nous créer des challenges. Avec Les Témoins le challenge était d’aller vers un genre plus populaire tout en restant dans notre univers que je définirais par le conte. Nous n’irons jamais vers des choses hyper réalistes car cela ne nous ressemblerait plus.
Hervé Hadmar. Nous essayons de surprendre à chaque fois. Nous ne sommes jamais tout à fait là où l’on nous attend. Avec Pigalle, on devient un vrai duo. La série est un succès public et un succès critique. Vient ensuite Signature. Énormément de gens s’attendaient à la suite de Pigalle. Or nous n’avons pas refait un Pigalle qui se passerait à Montparnasse ou à Belleville, ou une autre série chorale sur un ton qui pourrait mélanger le drame et la comédie. Nous sommes allés vers un truc hyper contemplatif. Certains ont détesté. D’autres ont adoré. Avec Les Témoins, les gens attendaient un Les Oubliées bis au pays de Signature. Nous nous avons décidé d’aller ailleurs. Dès le départ nous avons demandé à France 2 si elle était d’accord pour que nous fassions une série qui partait du procédural pour entrer petit à petit dans notre univers.

 

Aujourd’hui en France, on ne peut pas créer si l’on va contre le système

 

ILTVSW. La chaîne ne vous a jamais demandé de ne pas refaire Signature c’est-à-dire une série d’auteur forcément plus clivante car par nature une série de niche. Ce discours n’existe pas chez les décideurs à la TV française aujourd’hui ?
H.H. Il faut jouer avec le système. Ce qui est vrai, c’est qu’aujourd’hui en France, tu ne peux pas créer si tu vas contre le système. Voilà. Il faut y rentrer et le détourner. Mais en conscience des uns et des autres. Il ne s’agit pas de faire contre France 2. On a fait avec France 2. Dans l’écriture, dans le montage … Et, eux aussi, ils ont fait un bout de chemin. Ils ont accepté ce pitch qui n’est quand même pas évident pour France Télévisions : des corps qu’on déterre et que l’on installe dans des maisons témoins. Ce n’était pas évident. On peut créer si on les respecte. Et moi, je respecte les gens qui mettent beaucoup d’argent pour faire des séries. Ce n’est pas une phrase en l’air. Nous sommes pas arrivés en disant que nous voulions refaire Signature car nous savions qu’ils n’accepteraient pas. Depuis longtemps à la vision de certaines séries procédurales et des films de David Fincher comme The Girl with the Dragon Tattoo ou Zodiac, j’avais envie de faire une série très dialoguée. Une série avec des phrases qui résument très bien l’enquête policière. La volonté était de respecter tout à fait les code du procédural, d’aller vers le grand public, de le prendre par la main et de glisser petit à petit. Un processus de glissement que l’on met en pratique depuis Les Oubliées, finalement.

ILTVSW. Pour la première fois, vous avez développé un double personnage principal. Il y a une égalité parfaite entre Sandra et Paul. Pourquoi avoir fait ce choix ? Et qu’elles ont été ses conséquences sur votre travail ?
M.H. Ce n’est pas venu tout de suite. Au départ, n’existait que le personnage de Paul. Mais, chassez le naturel, il revient au galop, à force d’être au plus près de lui, nous avons commencé à reproduire ce que nous avions déjà fait. Sandra existait mais elle était un personnage secondaire. Après six ou huit mois d’écriture, nous nous sommes faits violence, nous sommes repartis dans une autre direction.
H.H. Nous étions dans la tête de Paul Maisonneuve. Le danger aurait été de foncer là-dedans et de retomber dans les mêmes pièges. A un moment donné, la chaîne nous aurait certainement demandé de rendre moins noir ce personnage. Du coup, la solution a été de changer le point de vue. Les sources de ce projet sont des séries comme The Killing, Bron, The Fall

 

© France 2

 

ILTVSW. Et vos références pour construire Sandra, l’héroïne féminine ?
H.H. Carrie Mathison de Homeland parce qu’elle est en guerre avec tout le monde. J’aime bien les personnages qui sont en guerre avec tout le monde. Et ça va être plus visible et lisible dans la saison 2 pour laquelle nous sommes en pleine écriture.
M.H. Sarah Lund parce que sa vie de flic finit par empiéter sur sa vie privée et, du coup, c’est un personnage qui a de plus en plus de mal à s’intégrer socialement. C’est ce que l’on retrouve aussi dans Homeland mais autrement.

ILTVSW. L’existence de Sandra est quand même très conforme à l’idée que tout le monde se fait de la vie d’une femme …
H.H. Je ne trouve pas que les problèmes conjugaux soient ce qui caractérise le plus Sandra. C’est vrai qu’on a déjà vu ça un milliard de fois. Nous lui avons apporté ses peurs et ses souffrances d’enfance. La question que vous posez est le sujet, le vrai sujet. Quel regard porte-t-elle sur son rôle d’épouse, de mère, de femme et sur sa famille. Au fond la question que pose la série est : est-ce que la famille idéale existe ? Sandra a l’impression qu’elle a une famille idéale. Elle se comporte dans un stéréotype totalement assumé de sa part de femme qui met des talons hauts pour être une flic, de femme qui fait le ménage chez elle jusqu’à l’obsession pour avoir un intérieur idéal. Elle a le fantasme de penser qu’elle est une femme idéale, une épouse idéale qui a un mari idéal et une petite fille idéale. Ce n’est pas du tout le cas. Cela commence à se craqueler dans la première  saison et cela va exploser dans la deuxième.
M.H. Au départ quand on écrivait avec le point de vue de Paul Maisonneuve, on s’éloignait totalement de ce qui était la normalité. Or le principe était de questionner la normalité à travers la famille puisque c’était ça, la thématique de la série. Mais avec Paul, on avait un personnage qui était déjà hors du temps, hors du monde, sans famille, qui posait un regard extérieur sur le sujet. Cela ne collait pas. On allait dans une forme de folie. Donc, nous avons choisi Sandra, un personnage plus normal. Oui, on peut dire c’est un personnage un peu plus France 2 car elle est normale au sens de la norme. Elle répond à la norme. Nous avons voulu craqueler la norme et l’obliger à la questionner. On ne peut donc pas dire que France 2, nous aurait ramené à la norme car la chaîne a accepté notre démarche.

 

Marie Dominer dans Les Témoins © France 2

 

ILTVSW. Les Témoins se caractérisent par l’abondance de dialogues très didactiques qui vampirisent la poésie de la série …
H.H. En conscience, nous nous sommes dits qu’il fallait que le début de l’épisode 3, donc le début de la deuxième soirée, soit comme une répétition du début de l’épisode 1 car 30% des gens n’auraient pas vu les deux premiers. Il fallait donc faire un résumé de l’enquête. Nous avons écrit dix minutes pour que ces nouveaux téléspectateurs puissent apprécier la série.
M.H. Cela a été voulu par nous et non demandé par la chaîne. Il y a même des moments où nous avons dû insister pour conserver ces dialogues. Nous n’avons pas travaillé en nous demandant: « Voyons voir comment font Les experts ou NCIS ? ». Dès le départ, nous avons construit une intrigue complexe pour aller l’encontre de ce que nous avions fait avec Les Oubliées qui racontait une enquête qui piétine car son personnage principal est un type qui va devenir fou pour résoudre l’affaire. Avec Les Témoins, notre grande peur était que le spectateur se perde dans une enquête très compliquée qui devient même assez barrée à partir des épisodes 3 et 4. Nous avons fait le choix de ne pas perdre le téléspectateur et c’était une promesse que nous avions faites à France 2 comme à nous-mêmes. Nous avons donc décidé de nous débarrasser de toutes les questions dans les dialogues.

ILTVSW. Avec les contraintes propres au procédural, ne vous êtes vous jamais sentis à l’étroit dans six épisodes?
M.H. A un moment, c’est venu très très tard, nous nous sommes dits que l’enquête avait un petit peu bouffé les personnages. Cela dit, nous n’avons pas fait une série parfaite. On va même aller au bout de ce raisonnement. Moi, j’ai des remarques à faire sur toutes mes séries. Dans Les Oubliées chaque épisode n’était pas assez bien locké. Pigalle n’était pas parfaite non plus. Et là, pour le coup, Canal Plus a sa part de responsabilité et quand une chaîne a sa part de responsabilité, je le dis. Comme par hasard, c’est Canal la chaîne des auteurs qui a sa part de responsabilité et pas France 2 la chaîne publique qui, dit-on, censure tout le monde … J’aime bien aller à contre-courant des idées reçues et je fais ici appel à du vécu. Pigalle était au départ une série chorale. Elle est devenue un thriller dans lequel un frère cherche sa sœur. Cette évolution a été voulue par Canal Plus et cela me fait chier car c’est déséquilibré et cela ne fonctionne pas. Sur Signature, il y a aussi un déséquilibre dans la relation entre deux personnages Daphné et Toman. Pour le coup, là, c’est de notre faute.
H.H. Pour la saison 2 des Témoins ont essaye de mieux équilibrer les personnages versus l’enquête. Cela sera léger. Par moment, je suis frustré par la saison 1 car il manque deux, trois, quatre scènes qui sortent de l’enquête et nous permettent de mieux rentrer au cœur des personnages.
M.H. D’ailleurs, on aimerait aller vers huit épisodes si France 2 l’accepte. Cela nous permettra d’avoir une enquête plus complexe encore.
H.H. Cela dit,  je pense qu’en six épisodes, on a tout a fait le temps de faire une série procédurale qui développe de très beaux personnages. A aucun moment, nous ne sommes allés voir la chaîne pour savoir si nous ne pouvions pas faire huit épisodes. Je pense qu’on y est arrivé avec Les Témoins. Maintenant, est-ce que nous aurions pu mieux faire ? Oui sans doute. Au montage, on réalise qu’il n’y a peut-être pas assez de petits moments de vie car le scénario était hyper dense parce que nous voulions une narration basée sur les rebondissements. Cela dit, paradoxalement, c’est la série ce qui se vend partout.

 

Une forme est censurée sur toutes les chaînes françaises, c’est le minimalisme

 

ILTVSW. La réalisation semble plus libre que l’écriture …
H.H. Nous n’avons pas été plus bridés sur l’écriture que sur la réalisation. A aucun moment, nous n’avons fait de concessions. Je n’ai jamais ressenti sur aucune de mes séries un interventionnisme sur la réalisation. Nous nous positionnons comme showrunners donc c’est très clair dès le départ, personne ne vient m’emmerder dans la salle de montage. Cela dit, Les Témoins sont très bien réalisés mais je ne révolutionne rien. Je pense que la télévision française a besoin de direction artistique. C’est un poste qui n’existe pas en France. C’est pourtant un rôle primordial qui permet d’arriver à une direction artistique globale. Mais il faut qu’un artiste s’en charge pas un producteur.
M.H. Je voudrais ajouter qu’il y a une forme aujourd’hui à la télé qui est censurée sur à peu près toutes les chaînes y compris Arte, c’est le minimalisme. Il est impossible de vendre une série comme Rectify en France. C’est important parce que cela implique un certain ton, une certaine couleur qui fait partie de la mise en scène qu’il est impossible de développer en France. Je dirais que, même dans des séries à personnages, quand tu commences à t’installer pendant 3 ou 4 minutes, cela déplaît immédiatement aux conseillers de programme qui ont la sensation que les gens vont zapper.

ILTVSW. La fameuse peur du vide …
H.H. L’un des plus grands problèmes de la télévision aujourd’hui, c’est la peur du silence. Or pour mieux entendre un bruit, il faut qu’il soit précédé par du silence. Au fond, c’est la peur du vide.
M.H. C’est un problème propre à notre culture commerciale. Prenons la musique par exemple, on est dans du bruit tout le temps. Dans les comédies commerciales, il faut que cela rie toutes les trois minutes. On ne pourrait plus faire du Tati aujourd’hui. A la télé, il y a malheureusement très peu de choses non commerciales aujourd’hui. C’est du bruit, du bruit, du bruit …
H.H. Au début des Témoins, nous nous sommes dits qu’au lieu de travailler le vide, nous allions le remplir. Et la question était évidemment de savoir jusqu’où nous pouvions le remplir dans notre univers à nous sans le trahir.

ILTVSW. Vous vous êtes donc mis au procédural pour la première fois, vous êtes vous fait peur ?
H.H. C’est dangereux. Bien sûr que l’on s’est fait peur. La première fois que j’ai vu le premier montage de la série, je l’ai trouvé nul à chier. Je n’aimais pas du tout les dix premières minutes. On a tout recommencé car c’était justement encore plus efficace.
M.H. Même quelqu’un d’aussi talentueux que Eric Demarsan a été obligé de repenser la musique tellement c’était décalé.
H.H. Eric avait écrit une musique comme d’habitude c’est-à-dire comme sur Signature ou Pigalle sur scénario. Nous avons enregistré avec un orchestre et lorsque nous avons posé la musique au montage, cela n’a pas marché. Il y avait deux temporalité différentes. Eric avait continué d’écrire dans notre espace temps à nous alors que nous, nous avions glissé dans un autre. Donc, il a fallu recomposer toute la musique et j’ai un producteur qui a accepté de le faire.

 

Sami Bouajila dans Signature © France 2

 

ILTVSW. Cette prise de conscience que vous êtes à côté de votre série, comment se passe-t-elle ?
H.H. Je ne me reconnais pas assez. C’est trop mécanique. On parle ici de demie secondes par plan. Mais cela change tout. Nous avons mis énormément de temps à régler le premier épisode. Il fallait qu’il soit le plus efficace possible mais qu’il y ait résolument des traces de notre univers. Je pense à la fin du premier épisode et l’apparition du petit chaperon rouge, notamment. Cela a été très compliqué à faire. Quand on regarde la série l’espace temps du sixième épisode n’a rien à voir avec celui du premier. Il fallait anticiper cela. Je pense d’ailleurs que les deux derniers épisodes auront beaucoup moins de succès que les quatre premiers. Mais c’est voulu, c’est assumé. Nous avions envie de cette progression.
M.H. Quand on parle de mise en scène ou de scénario, on renvoie souvent à la dimension picturale et littéraire. Et, en fait, je pense que ce qui fait le lien entre le métier de scénariste et celui de metteur en scène, c’est la musique. Je pense que l’art qui se rapproche le plus du travail de quelqu’un qui fait du cinéma, c’est la musique parce que la création audiovisuelle est un art du temps. Contrairement à la peinture ou la littérature, nous sommes prisonniers du temps. Un lecteur lit en fonction de son rythme. On peut rester deux secondes ou une heure devant un tableau. La musique et le cinéma contraignent le spectateur. C’est d’ailleurs bien pour cela que les chaînes ont si peur du silence et du minimalisme. Elles sont effrayées par les temps faibles, le vide. Le surréalisme par petites touches, ça passe parce que cela permet au téléspectateur de rêver même si l’on ne peut pas faire du Lynch.

ILTVSW. Le rôle d’une chaîne publique n’est-il pas aussi de défendre l’importance culturelle de savoir s’arrêter?
M.H. Évidemment. Bien sûr. C’est dommage qu’ils ne le fassent pas. Je ne suis pas dans l’angélisme.
H.H. Si cela pouvait exister à la télévision française, ça devrait exister d’abord sur le service public. C’est que nous avions modestement essayé de faire avec Signature.
M.H. Comme avec Les Oubliées et ils nous avaient autorisé à le faire … Cela a correspondu à un moment. Aujourd’hui, ce n’est pas l’air du temps. Il y a des peurs, de crispations politiques. Quand tout le monde a peur, plus personne ne prend de risques.
H.H. La musique est ma vraie passion. Je me suis remis aux vinyles. L’année dernière, j’en achète un parce que la pochette me plaisait. Je l’écoute et il devient l’un de mes disques préférés. A tel point que je décide six mois plus tard de me l’acheter en mp3. Je l’écoute et je m’aperçois que depuis six mois, je me trompe de vitesse. C’est un 45 tours que j’écoute en 33 donc c’est très lent, il y a des silences. Et je réalise que c’est cela qui me plait. A la vitesse normale, c’est nul. C’est drôle, non?

 

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Thierry Lhermitte dans Les Témoins © France 2

 

ILTVSW. Est ce que cette obsession pour le bruit que cristallise la télé n’illustre pas le temps de penser que l’on ne nous laisse plus ? Penser serait considéré comme inutile voire dangereux ?
M.H. Ce n’est pas moi qui vais dire le contraire.
H.H. Moi, je pense que c’est moins organisé que cela mais le résultat est le même. Nous sommes dans une société qui devient folle. Quand quelqu’un t’envoie un mail, si tu n’as pas répondu dans la demi-heure, c’est le drame. Dans les bureaux où j’écris, je n’ai même pas Internet sinon je deviens fou. La narration, la fabrication des séries est devenue comme celles des films dans lesquels il y a une accélération sans fin des effets spéciaux, des explosions, de trucs, des machins mais dans lesquels on ne développe plus les personnages. Jusqu’où va-t-on aller ? Évidemment que c’est problématique.

ILTVSW. Cela signifie que pour arriver à créer aujourd’hui en France il faut l’accepter?
M.H. C’est compliqué, c’est une guerre. C’est une vraie question.
H.H. Non, il y a plein de gens qui ne l’acceptent pas. C’est possible en peinture, en musique avec les home studios, en sculpture. Tu peux faire de très belles bandes dessinées et, sans doute, écrire des romans, aussi. Une série coûte huit à dix millions d’euros et elle est acheté par des gens qui, en gros, te sortent des études, c’est évidemment compliqué. J’aimerais beaucoup que le service public permette davantage ce type de projets mais on est quand même dans un système qui permet de temps en temps de faire des choses. Faut-il s’en contenter ? Non. Il faut évidemment se battre pour améliorer la situation. Malgré la suppression de la publicité, les décideurs restent conditionnés par l’audience. C’est de l’argent public et ils considèrent qu’il doit servir le plus grand nombre. C’est leur logique.

Titre: Les Témoins
Créateurs: Marc Herpoux et Hervé Hadmar
Cast: Marie Dompnier, Catherine Mouchet, Roxane Duran, Thierry Lhermitte, Laurent Lucas, Mehdi Nebbou, Jan Hammenecker.
Diffuseur: France 2

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La semaine prochaine dans ILTVSW … Oups, pas encore tranché, désolée.