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Un gars, une fille, des séries: Les bons, les brutes et les truands

25 Mai

Chers lecteurs

C’est l’histoire de l’Histoire qui aurait pu provoquer toute une histoire … Et oui, le débat passionné est l’une des activités de prédilection des sériephiles. Sujet de la discorde de la semaine : les séries historiques. Souvent faites de larmes, de sexe et de sang plus que de toiles d’araignées, elles sont d’une qualité très inégale. Et provoquent fréquemment des réactions épidermiques. On adore les détester. Ou, on se déteste de les adorer. Ou, simplement, on les adore. Rome, Black Sails, The Tudors, Spartacus, Vikings, Mad Men, Downton Abbey … des propositions fictionnelles souvent radicalement différentes. Avec Dominique Montay, rédacteur en chef séries du Daily Mars et scénariste, nous avons croisé nos regards sur l’un des genres à succès de ces dernières années. On s’est très sérieusement fâché pour de faux mais, surtout, nous avons longuement échangé. Les séries historiques en cinq questions.

To my readers, exceptionally ILTVSW will only be French speaking this week. The blog is hosting a TV critic battle about historical TV shows. But as soon as next week things will be back to normal meaning French & English.

 

Black Sails

Black Sails

 

ILTVSW. Les séries historiques sont condamnées à être des divertissements kitsch, c’est vrai?

Un gars. D’entrée de jeu, on ne va pas être d’accord. C’est pas beau de commencer sur un clash, il va rester quoi, ensuite ? Déjà il faudrait définir le kitsch, qu’on utilise un peu à tort et à travers. Ici, si je comprends bien, c’est plus sur le côté « mauvais goût » qu’on aborde la problèmatique. Alors oui, Spartacus n’est pas le dernier sur le sujet. Son esthétique générale est assez douteuse, surfant sur celle d’un film d’une incroyable laideur, 300. Particulièrement sur les scènes de combats, et les zooms numériques sur les projections de sang, qui donnent l’impression que les combattants n’ont pas de veines mais que des artères. C’est parfois assez risible, mais si on s’attache au récit en évacuant le visuel, c’est une série qui possède un vrai fond, un vrai discours sur la liberté et la responsabilité. Les combats et le sexe dans Spartacus, c’est un peu comme les pyjamas dans Star Trek, il faut aller au-delà pour voir ce qu’il y a de brillant. Même si ça peut être très dur.

Une fille. OK. Allez, le clash, donc. Existe-t-il des critères qui définissent le kitsch? Je n’ai pas la réponse à cette question. En revanche, je pense que les qualités esthétiques sont plus faciles à identifier. Si on répond à la question en l’envisageant sous cet angle, je crois que l’on peut dire que certaines séries historiques sont superbes. L’un des exemples qui me vient immédiatement à l’esprit est la série Downton Abbey de Julian Fellowes. Elle pousse l’élégance jusqu’à contredire la réalité historique. Un spécialiste anglais de la question des domestiques dans les grandes maisons aristocrates anglaises a écrit un papier reprochant à la série d’esthétiser et d’idéaliser le quotidien d’employés de maison qui vivaient généralement dans des conditions misérables et, forcément donc, dans une réalité moins glamour …

 

Downton Abbey

Downton Abbey

 

ILTVSW. La violence et le sexe ne sont-ils pas qu’une manière de masquer le néant?

Un gars. C’est une tendance assez incroyable dans la fiction TV américaine : qui dit série historique dit nudité et violence. En même temps, et je reprends l’exemple de Spartacus : est-ce si éloigné de la vérité de l’époque ? Les esclaves à moitié à poil qui servent d’objet sexuel quand le maître en a envie ; les guerriers qui s’étripent dans des colisées pour sauver leur peau, gagnés par l’adrénaline des vivats de la foule… je ne vois pas d’actes qui me surprennent. Qui me choquent, oui, mais c’est normal, c’est l’effet désiré. Réduire le débat à « trop de violence et de sexe », c’est une erreur, pour moi. Plutôt que d’accumuler et de faire un décompte (un peu comme on est tenté de le faire avec les « fuck » dans un film de Scorsese), il faut prendre ces scènes une par une et évaluer la chose suivante : est-ce qu’elles racontent quelque chose ? Est-ce qu’elles sont utiles, ou est-ce un passage obligé ? Et ça arrive. Suivant la chaîne ou vous vous trouvez, il « faut » de la nudité. J’aimerais un jour faire ce genre de décompte en comparant Spartacus et une série aussi surcotée que Boss, sur la même chaîne (Starz). J’ai peu souvenir de scènes de sexe justifiées dans l’oeuvre de Farhad Safinia. Mais ça, on en parle peu. Certainement parce que la « mise en scène » est de meilleur goût. Pour en revenir au “néant”, j’ai du mal à imaginer les scénaristes se dire « mettons une scène de cul ici, parce qu’on n’a rien à dire ». Même sur True Blood ils ne fonctionnent pas comme ça. Ils écrivent une bouse, mais pas ce genre de bouse. C’est une série, pas un téléfilm playboy. Après ce qu’ils font est bon ou mauvais, nous touche ou pas. Je pense même que la profusion de sexe et de violence masque les qualités, pas les défauts. Ca en fait un objet peu recommandable, et on y revient « de mauvais goût ». Ca réduit la force d’une oeuvre. Je crois plus aux vertus masquantes d’une réalisation léchée, belle à voir, loin de l’outrance.

Une fille. Je pense moi tout le contraire. Il paraît assez évident, depuis quelques années, qu’il existe un filon de productions historiques bas de gamme que certains producteurs, créateurs et chaînes ont décidé d’exploiter. Ils rivalisent, d’ailleurs, de non imagination en repoussant toujours les limites et en proposant les scènes les plus gore possibles. On ne peut même pas dire que cela soit l’apanage des Américains puisque The Tudors est une création irlando canadienne même si elle est diffusée par Showtime ou que Canal Plus a proposé une version de Borgia qui n’était pas la définition de la subtilité. Il serait intéressant de couper toutes les scènes d’écartèlement  et que les scènes d’intimité s’arrêtent devant la porte de la chambre d’un couple qui a manifestement des projets pour occuper sa soirée. Ce n’est pas une posture moraliste, c’est simplement pour souligner que privées de ces scènes certaines séries historiques risqueraient d’avoir des difficultés pour boucler la durée d’un épisode. On peut prendre l’exemple contraire avec Mad Men. Depuis sept saisons, Don Draper est disons un homme assez actif sexuellement. Jamais pourtant Matthew Weiner ou ses auteurs ne s’aventurent sur ce terrain-là. Ce qui les intéressent c’est d’écrire le portrait d’un homme très seul, de dessiner ses faiblesses, de mettre en évidence ses limites… Et, plus largement, de proposer une définition de la masculinité dans l’Amérique des années 60. Don Draper est en partie caractérisé par sa sexualité névrotique. Comme Lucius Vorenus dans Rome, une série beaucoup plus mainstream, l’est par sa maladresse avec sa femme. Dans les deux cas, l’intimité sert de véhicule au point de vue de l’auteur. Un auteur qui a quelque chose à dire. Et cela, ça change tout.

 

Je ne suis pas sensible au concept du guilty pleasure, Dominique Montay

ILTVSW. Qu’offre donc l’Histoire comme opportunité au scénariste que le monde contemporain ne lui permet pas?

Un gars. Pas de téléphone portable. Et ça… le téléphone portable, c’est l’ennemi du scénariste et, depuis 20 ans, il doit faire avec. Quand vous voyez une scène avec quelqu’un qui n’a pas de réseau, c’est juste parce qu’à ce moment précis, le téléphone fait chier. Dans une fiction historique, le problème ne se pose pas. Et je suis TRES SÉRIEUX.

Une fille. Une immense liberté. Les scénaristes peuvent absolument s’affranchir de la réalité, vraiment qui ira vérifier? Et, ils sont finalement peu nombreux ceux qui se saisissent réellement de cet espace de jeu pour raconter des histoires. Souvent, les créateurs de séries historiques sont fiers de dire qu’un conseiller historique les a accompagnés. Et que les gens, à l’époque comme disent souvent les écoliers, ce qui est drôle et éloquent à la fois, buvaient, dormaient, marchaient vraiment comme ça. Ce « vraiment » n’a finalement aucune importance. Ce qui compte, ce qui devrait compter, c’est l’épaisseur des personnages et la puissance de fascination exercée par l’arène dans laquelle ils évoluent. Tout se passe souvent comme si l’obsession pour l’exactitude de la réalité historique exonérait le créateur de sa mission première, celle de raconter des histoires.

 

Rome

Rome

 

ILTVSW. Et la vérité historique dans tout ça, c’est important?

Un gars. Oui, et non. On s’en fout un peu, en fait. Ca dépend de votre propos au départ. Si vous voulez cadrer au plus près avec l’Histoire, il faut s’y tenir, et faire très attention à la cohérence de vos intrigues. Vous n’avez pas le droit à l’erreur. Pour Spartacus, ils sont resté proches d’une vision de l’Histoire (tous les historiens ne sont pas d’accord sur le déroulement) tout en remplissant les zones d’ombre. Bien entendu, ils ont créé des personnages, certains sont restés plus longtemps que prévu, des raccourcis ont été pris… mais ils sont surtout restés cohérents dans leur histoire. Mais, ils auraient pu la jouer « fuck it » à la Tarantino dans Inglourious Basterds et réécrire l’histoire, montrer Spartacus décapiter Jules César, puis voyager dans le temps pour cramer Hitler, mais non. Ce n’était ni le sujet, ni le propos. Encore un aspect brillant de Spartacus : quand on regarde les fictions basées à cette époque, comme Rome, tous les mecs parlent comme s’ils vivaient dans l’Angleterre victorienne, tout droit sortis d’une pièce de Shakespeare. Dans Spartacus, ils parlent un langage inventé pour l’occasion, c’est de l’anglais, certes, mais les phrases sont construites comme du Latin. En cela, je trouve Spartacus plus réaliste historiquement que Rome ou Gladiator 

Une fille. Il m’arrive d’avoir une énorme envie de réalisme. Quand c’est le cas, je fais une pause sur les séries et je me plonge dans une collection documentaire. Je pense au travail du documentariste américain Ken Burns, par exemple. Sa série documentaire The War est un travail à la fois d’une rigueur irréprochable et complètement captivant. Mais, quand je me lance dans une série, vraiment son réalisme passe au second plan. C’est pour cette raison que j’ai passionnément aimé Rome. L’idée d’un Buddy movie dans la Rome antique est géniale. Lucius Vorenus et Titus Pullo sont incroyablement humains dans les deux saisons de la série. Ils font comme ils peuvent avec leur époque mais surtout avec leurs limites, leur passé, leurs blessures … OK Freud, c’est encore dans longtemps mais ce n’est pas grave car on vit avec eux. Mon dernier coup de cœur est l’Anglaise Peaky Blinders. Elle met en scène une famille de gangsters dans le Birmingham des années 20. Les hommes sont jeunes et encore traumatisés par la première guerre mondiale. Je n’ai aucune idée du modèle des fusils dont ils étaient équipés mais je n’oublierai pas le traumatisme que j’ai pu lire dans leur regard. Ces personnages sont d’une puissante humanité. C’est tout ce qui importe.

 

Vikings

Vikings

ILTVSW. Quels barbares hirsutes et malodorants trouvent malgré tout grâce à vos yeux, et dans quelle mesure culpabilisez-vous?

Un gars. Ah mais plein ! J’adore le génie tactique de Spartacus, le sens de l’honneur de Oenomaus, la fragilité d’Agron et la jouissance communicative de Saxa, j’ai appris à aimer Gannicus, le révolutionnaire récalcitrant. J’aime beaucoup Long John Silver et Anne Bonny dans Black Sails. Après, on serait tous coincés dans un métro, je leur demanderais d’aller prendre une douche ou deux, mais sinon, je les adore. Je viens de me mettre à Vikings, donc c’est un peu compliqué de détacher des personnages, même si j’aime beaucoup Lagertha, qui a tout pour être un cliché de “femme de guerrier”, et qui est tout le contraire. Et n’étant pas sensible au concept de guilty pleasure, sachez que je ne culpabilise jamais. Spartacus est une série formidable, Black Sails n’est pas exempt de qualités, et Vikings s’annonce très bien.

Une fille. Comme il m’est impossible de me fâcher pour toute la vie avec un gars. Je vais aller dans son sens et saluer Vikings. Contrairement à ce qu’il avait fait dans la très moyenne The Tudors, Michael Hirst ne s’est pas caché derrière les fantasmes véhiculés par une époque pour faire l’économie de personnages un peu construits. Ses Vikings ont, c’est vrai, une conception de l’hygiène assez proche de celle de Néandertal mais ils ont des trajectoires personnelles touchantes et, en plus, chose assez rare, la série repose aussi sur de beaux personnages féminins.

On peut retrouver le passionnant et passionné Dominique Montay sur le Daily Mars et le suivre sur Twitter @ItsZeDom

La semaine prochaine dans ILTVSW … Oups, pas encore tranché, désolée.

 

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