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Un gars, une fille & une série TV: True Detective

2 Mar

Chers lecteurs

C’est l’histoire d’une catastrophe évitée. Si vous n’avez jamais fréquenté Twitter, il vous sera utile de conserver cet épisode en tête avant de, peut-être un jour, rédiger vos premiers tweets. Et, si vous êtes déjà addict, désolée de vous rappeler le douloureux souvenir du tweet de trop. Celui qui vous a fait boire pour oublier. Ou, qui vous a fâché sur la place publique, et pour toute la vie, avec un BFF.

Sujet de la discorde : l’épisode 6 de la série True Detective diffusée sur HBO et, en France, sur OCS City. Un polar créé par le romancier américain Nic Pizzolatto qui signe ici sa première série. Huit épisodes qui sous prétexte de résoudre une sordide affaire de serial killer en Louisiane, explorent la misère de la condition humaine – et oui, on fait des trucs fous comme ça à la TV – à travers le destin des deux détectives chargés de l’enquête Rust Cohle et Martin Hart incarnés avec intensité et précision par Matthew McConaughey et Woody Harrelson.

Comment peut-on frôler l’incident diplomatique devant un petit bijou pareil? C’est ce qui guette tous les passionnés. Avec Yann, l’auteur du très riche et rigoureux Séries, le blog!, c’est ce qui a failli nous arriver. De tweet en tweet, le ton est monté … Et puis, miracle de la sériephilie, notre divergence a finalement donné lieu à une discussion à bâtons rompus. Qui nous a inspiré la conversation suivante. True Detective un premier bilan en cinq questions.

To my readers, exceptionally ILTVSW will only be French speaking this week. The blog is hosting a TV critic battle about True Detective and women. But as soon as next week things will be back to normal meaning French & English.

ILTVSW. True Detective, c’est bientôt la fin, on commence par ce qui a fâché, après un consensus sur la qualité de la série, certains reprochent à Nic Pizzolatto d’avoir négligé ou sacrifié les personnages féminins …

Un gars. C’est le sujet de la semaine ! Le point de départ de la position défendue par Emily Nussbaum (la critique du New Yorker dans son article : The shallow deep talk of True Detective) peut se résumer ainsi. Aucun personnage féminin consistant ne parvient à exister dans l’ombre des inspecteurs Cohle et Hart. Entre les prostituées, les conquêtes de Marty, sa femme et même l’une de ses filles, le tableau est désastreux ! Ce constat est indéniable mais il faut, je pense, considérer la démarche de l’auteur. Nic Pizzolatto s’inscrit ici dans le registre du polar noir – un genre où la femme n’est souvent qu’un simple faire-valoir – et transpose une double narration très littéraire à la série. Ce sont ces deux flics qui nous comptent l’histoire via leurs interrogatoires et forcément le récit tient compte de leurs personnalités, de leurs déformations. De ce point de vue, la distanciation entre le duo et le reste des protagonistes (et non uniquement les femmes) se justifie. Mais de manière générale, personne n’échappe au marasme. Rust est nihiliste et suffisant, Marty est l’archétype du beauf limité. Bref, on aurait tort de tirer de trop rapides conclusions d’autant plus qu’il nous reste encore l’acte final à découvrir…

Une fille. C’est le sujet de la semaine et, peut-être, un peu plus. C’est le problème des séries lorsqu’elles sont des petits bijoux, on s’habitue à être ébloui et au moment où l’on prend du recul, on chipote un peu. Lundi dernier, c’est ce qui s’est passé. Emily Nussbaum dans son article reproche au scénariste d’abuser un peu facilement de scènes de sexe dans lesquelles il focalise beaucoup sur les postérieurs féminins. Ce n’est pas une posture moralisante, elle dit simplement que ces scènes n’enrichissent pas le récit. Qu’elles sont un peu faciles. Je comprends son point de vue. Et je le partage pour l’épisode 6. D’autant que depuis le début de sa saison True Detective semble mettre un point d’honneur à fouler artistiquement de nouveaux territoires. Le polar peut faire différemment. Récemment Jane Campion en a fait la démonstration. L’esthétique spectaculaire et somptueuse de Top of the Lake a marqué les imaginaires sériephiles. Mais, pas seulement. C’est une perspective nouvelle aussi qui demeure. La détective Robin Griffin en enquêtant pose la question de la féminité, de la construction et de la reconstruction d’une femme profondément meurtrie. Une question qui est soulevée comme à travers un kaléidoscope par les destins des autres femmes de la série, la jeune Tui, la propre mère de Robin, et les femmes des terres du Paradise. Pour revenir à notre discorde, ce qui est intéressant c’est que sur un format similaire Top of the Lake n’a pas fait l’économie de subtils personnages masculins.

Michelle Monaghan/Maggie Hart

ILTVSW. True Detective, c’est une série d’acteurs, tout le monde salue la performance de Matthew McConaughey dans la peau de Rust Cohle et vous?

Un gars. Oui, McConaughey est le détonateur de toute évidence ! Sa seule présence attirait l’attention avant la diffusion et sa prestation est à la hauteur d’un acteur au sommet de son art. Longtemps cantonné à des rôles de belle gueule, il a fendu l’armure depuis Magic Mike et fascine à chaque apparition notamment grâce à une élocution sudiste ensorcelante. Mais il ne faut pas oublier Woody Harrelson, très bon lui aussi dans un rôle peut-être encore un peu plus compliqué que son compère.

Une fille. Évidemment. C’est un régal de voir Matthew McConaughey se fondre ainsi dans la peau torturée de Rust Cohle. La précision de son jeu est saisissante. Mais je la trouve aussi complètement liée à celle de Woody Harrelson en Martin Hart. Les fulgurances de Rust Cohle n’existent que confrontées à la médiocrité de Martin Hart. Ces deux personnages sont indissociables. Le jeu des deux acteurs aussi. Je l’apprécie comme un tout. Nic Pizzolatto résume bien cela quand il dit que le jeu de McConaughey et Harrelson a ajouté un niveau et une profondeur à l’histoire.

Avec le recul, je crois qu’on étalera encore un peu plus de superlatifs sur l’écriture de Pizzolatto. Yann

ILTVSW. True Detective, c’est un feu d’artifice visuel et finalement … c’est tout ?

Un gars. On a beaucoup parlé de la fameuse scène finale du quatrième épisode, ce plan séquence haletant qui va immanquablement rester comme un de ces instants majeurs de l’histoire de la télévision. Toutefois, je serais presque tenté de dire que c’est l’arbre qui cache la forêt ! Alors oui, la photographie d’Adam Arkapaw (Top of the Lake) est très belle. Il capture parfaitement ces ambiances de Louisiane industrielle si chère à l’auteur. Mais la mise en scène de Cary Fukunaga est très sobre. Hormis le coup d’éclat mentionné ci-dessus, il y a une réelle volonté de s’effacer, dans une tradition très brute et minimale du cinéma indépendant d’ailleurs. Je crois qu’on ne peut donc pas parler d’une mise en scène qui en met plein la vue, non. La magie de True Detective est ailleurs ! Le montage aura été, par contre, l’étape cruciale. Pizzolatto a conçu un récit qui navigue sans arrêt entre les époques. Cet assemblage était le véritable défi de la série. Les monologues de Cohle pendant lesquels on bascule entre les personnages et les époques sont fascinants. La manière avec laquelle ils sont sublimés par une progression des inflexions de McConaughey, elle-mêmes subtilement accompagnées par une musique anxiogène : ça c’est grand Art ! Avec le recul, je crois qu’on étalera encore un peu plus de superlatifs sur l’écriture de Pizzolatto. Voilà un scénariste qui ose des tirades invraisemblables, entre théories philosophiques tirés par les cheveux et leçons de vie improbables. Sur le coup, on est sous le charme des Matthew et Woody mais il faudra bien qu’on s’aperçoive que le texte est brillant avant d’être déclamé par des acteurs fussent-ils talentueux !

Une fille. La réponse de Yann est exactement la raison pour laquelle il était inconcevable que je laisse un tweet nous brouiller! Son regard sur les séries est d’une passionnante précision. C’est toujours un régal de discuter avec lui. Et, je suis parfaitement d’accord pour dire avec lui que le maître de True Detective est incontestablement Nic Pizzolatto. C’est vrai que le plan séquence de six minutes est tellement tendu et inouï qu’il figurera probablement dans les manuels de cinéma. Mais True Detective ne se résume certainement pas à lui. L’écriture de Pizzolatto est si sophistiquée que cela en est presque insensé. Surtout que mis à part un job dans la writing room de The Killing version US, True Detective est son deuxième boulot à la TV, c’est écrit sur son CV!

Woody Harrelson et Matthew McConaughey

ILTVSW. True Detective, c’est une série écrite par un seul auteur, cela remet-il en cause le mythe de la désormais fameuse writing room?

Un gars. Je ne crois pas. Pizzolatto est arrivé en position de force auprès des chaînes car il avait réussi à convaincre McConaughey au préalable. Le soutien de l’acteur lui a permis de s’offrir beaucoup de liberté mais c’est une exception qui confirme la règle. Il est justement très tentant d’imaginer que les responsables d’HBO doivent actuellement lui mettre la pression pour qu’il délègue un peu afin d’allonger la saison 2 de quelques épisodes…

Une fille. True Detective fait la preuve qu’une série de huit épisodes ne doit pas obligatoirement être le fruit d’une réflexion et d’une écriture collective pour être intéressante, en tout cas. Dans quelle mesure le passé créatif de Pizzollato ne constitue-t-il pas une explication? Son roman Galveston plongeait déjà dans les eaux sombres de La Nouvelle Orléans, il a grandi en Lousiane, le pilote de True Detective n’est que son cinquième script, finalement c’est une œuvre éminemment personnelle cette série. Comme le prolongement du travail entamé avec son roman, peut-être donc que dans ces conditions c’est non seulement possible, mais aussi la meilleure solution d’écrire à une main…

ILTVSW. True Detective, c’est une série qui a affolé les réseaux sociaux parce qu’il n’y avait rien de bouleversant depuis la rentrée 2013?

Un gars. En effet ! Sous l’influence du câble, les networks réservent de plus en plus pour la mi-saison leurs projets les plus ambitieux, qui se trouvent souvent être sur des formats proches d’ailleurs (autour de 10-13 épisodes). Et puis surtout, hormis peut-être Masters of Sex, le câble ne nous a rien offert de consistant en fin d’année 2013. Après, les réseaux sociaux s’alimentent de l’événement et chaque épisode soulève de nouveaux sujets, preuve supplémentaire que la série va durablement marquer les esprits. Cette semaine, la polémique sur la faiblesse des personnages féminins succède aux théories sur le roi jaune inspiré d’un recueil de nouvelles (The King in Yellow) qu’un certain Robert W. Chambers publiait en 1895, du pain béni pour alimenter la ferveur online…

Une fille. Je partage ton point de vue, la rentrée 2013 américaine n’a rien produit de passionnant ou de différent à l’exception de Masters of Sex. Donc lorsque qu’une perle arrive à l’antenne, elle fait logiquement l’objet d’une activité frénétique sur les réseaux sociaux. Le genre du polar est particulièrement propice aux commentaires à l’infini car même si dans True Detective le voyage artistique compte évidemment beaucoup que la destination, on brûle tous de savoir ce qui s’est vraiment produit entre Rust Cohle et Martin Hart et qui est le malade qui court dans la nature. Le jeu de piste lorsqu’il est parfaitement maîtrisé donne forcément lieu à des prolongations sur Internet. Comme il ne reste plus que deux épisodes, je croise très fort les doigts pour que la promesse du genre soit tenue. Ce qui installerait Pizzolatto parmi les maîtres de la TV.

ILTVSW. True Detective, c’est une série qui a voulu réinventer le genre du polar, y est-elle parvenue?

Un gars. Sur le fond je ne pense pas et ce n’était sûrement pas l’ambition de Pizzolatto. Par contre sur la forme, il y a deux aspects à surveiller. Le principe de la double narration rétrospective est sûrement novateur, du moins sur cette ampleur. Et deuxièmement, le format de l’anthologie saisonnière ouvre fatalement de nouvelles perspectives, surtout au sein du genre policier si pratiqué. Établir un début, un milieu et une fin à l’échelle d’une saison est une aubaine que le format sériel n’a pas encore vraiment appréhendé. Il y a bien sûr le précédent American Horror Story mais je pense qu’ils seront nombreux à s’engouffrer dans la brèche à la suite d’une True Detective qui n’aura laissé personne indifférent.

Une fille. J’ai le sentiment que du point de vue de la sensibilité et de la primauté du parti pris, True Detective est en tout cas sûrement à ranger dans la catégorie des polars d’auteurs. Dans la lignée des séries récentes dont l’approche sophistiquée de la forme n’est pas là pour dissimuler la pauvreté de l’écriture. Mais lui confère tout au contraire une puissance exponentielle. Je pense que Pizzolatto se sert d’un genre extrêmement codifié pour dire des choses, le polar ne lui sert que de véhicule. Par exemple, il dynamite habilement le cadre spatio temporel mais moins pour brouiller les cartes que pour perpétuellement nous promener dans une sorte d’analyse in vivo de Rust Cohle et Martin Hart. Pizzollato dit que le polar est le nouveau roman social. Il fait un parallèle  entre le dysfonctionnement du monde actuel et l’univers du polar… C’est un bon indice, je crois, pour apprécier son travail.

Ici la traduction par Yann d’une interview de Nic Pizzolatto dans EW (Spoilers) 

La semaine prochaine dans ILTVSW… Oups, pas encore tranché, désolée.

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