FRA/ENGLISH
Arnaud Malherbe, coauteur avec Marion Festraëts, de la série Chefs dont il signe également la réalisation a accepté l’invitation de ILTVSW à l’occasion du lancement de la série mercredi soir sur France 2. Du concept au montage, de la création des personnages au tournage, de l’arrière-cuisine à l’influence de Star Wars, Arnaud Malherbe raconte comment sa première série a vu le jour.
To my readers, exceptionally ILTVSW will only be French speaking this week. The french writer and director Arnaud Malherbe co-creator with Marion Festraëts of the TV show Chefs (France 2), exploring the French cuisine from behind the scenes like a Greek tragedy, is the guest star of the blog today. But as soon as next week things will be back to normal meaning French & English.
ILTVSW. Il n’y a ni flics, ni médecins, ni avocats dans Chefs. Pour un créateur emprunter un chemin artistique en dehors des sentiers battus c’est-à-dire sans pouvoir se raccrocher à un genre fédérateur, c’est grisant ou au contraire impressionnant ?
Arnaud Malherbe. De manière étrange, nous ne nous sommes pas vraiment posés la question de la prise de risque. Nous sommes restés connectés à notre désir, qui n’était pas celui de faire une série et de trouver à quel sujet nous allions nous attaquer. C’est venu beaucoup plus naturellement. Avec Marion, ma compagne, avec qui j’ai créé Chefs, nous nous étions retrouvés devant des documentaires qui traitaient du travail d’une brigade dans un grand restaurant. Cela nous a tout de suite paru être un théâtre dramaturgique extrêmement puissant. Il y avait là des personnages avec des destins très différents, des archétypes presque. Nous avons aussi senti que c’était un univers extrêmement martial, guerrier, hiérarchisé avec des rapports très tendus, parfois violents et même violents physiquement. Mais, c’était également un espace de création, de passion, d’art, d’une certaine façon. La contradiction et la force de ces deux constats nous offraient un espace dramatique dingue à développer. Ce qui nous a sidéré, c’est qu’une série sur le sujet n’existait pas encore alors que la cuisine est l’un des marqueurs culturels les plus forts de l’identité française. C’est très significatif de la manière dont les diffuseurs ne s’emparent pas de ce que devrait être la fiction française. Ils vont faire la 75e série de flic mais pas s’attaquer à un espace socio culturel hors formule procédurale ou comédie familiale pure. C’est un parti pris qui reste très très rare.
Faire Star Wars en cuisine
ILTVSW. Une chose est de prendre la mesure de la richesse d’un sujet, une autre est de réussir à en faire une série …
Arnaud Malherbe. Je pense que nous avons sous-estimé la difficulté du projet. Dans Chefs, pour nous les créateurs, il ne pouvait pas y avoir de zone de confort puisqu’il n’y avait pas d’enjeux de vie et de mort. Il fallait inventer une promesse pour le téléspectateur. C’est extrêmement difficile. Cela a mis du temps. Il y a eu une évolution dans la nature même de la série liée aux échanges avec la production et la chaîne. Nous sommes partis de quelque chose qui, à la base, était pour nous plus choral, plus naturaliste et plus social même si nous avions déjà un désir de décalage poétique. Ce désir a rencontré une contrainte éditoriale et industrielle de France 2 qui souhaitait un parcours narratif beaucoup plus resserré autour de deux personnages, de plus feuilletonnant, plus populaire et moins éclaté. Nous avons pris cette direction et nous assumons tout, bien sûr.
ILTVSW. Très rapidement, en regardant la série, on ressent l’influence de la tragédie grecque. Une fatalité moderne à la Star Wars imprime la série … Prendre ce chemin a-t-il été une manière de surmonter le fait de ne pas vous inscrire dans un genre télévisé ?
Arnaud Malherbe. C’est très juste, dans l’esprit, il y a de la tragédie grecque parce qu’ il a fallu trouver un véhicule narratif pour entraîner les téléspectateurs. Et pour notre génération pop, l’une des références est Star Wars qui a vraiment imprimé notre imaginaire. Dark Vador, Luke, l’empereur nous ont aidé à déterminer le comportement de nos personnages. Comme nous n’étions pas dans un cadre rassurant, nous avons été obligés de retrouver des référents sur lesquels nous appuyer pour écrire. Luke représente, par exemple, l’appel du devoir que l’on commence par refuser … Très vite, le téléspectateur peut se dire : « Ça, je l’ai déjà vu, cela m’a ému, je l’ai compris, cela a du sens. » Il n’était pas question de copier mais de s’appuyer sur le même type de mouvements dramatiques et d’émotions. Par ailleurs, se dire : « On va faire Star Wars en cuisine », c’est hyper excitant !
ILTVSW. Ce travail sur les personnages est capital pour la réussite d’une série … Comment l’avez-vous abordé ?
Arnaud Malherbe. Nous voulions travailler sur des archétypes. Le chef capitaine d’un bateau pirate, le petit gars qui refuse son don travaillé par un trauma d’enfance, le grand méchant loup … Nous avions envie de jouer avec tout cela. Nous voulions nous inventer une fantasmagorie. Nous sommes partis de l’univers pour aller aux personnages. Cela a été assez long. Nous avons mis du temps à trouver le mouvement général de l’histoire. L’une des préoccupations qui a dirigé notre écriture était de faire un feuilleton populaire. Dans un feuilleton populaire, il y a des secrets de famille, on aime, on se déchire, on trompe, on ment …
ILTVSW. On retrouve dans Chefs la fameuse question du rapport père-fils déjà présente dans votre premier long métrage Belleville Story. C’est l’un des sujets majeurs du patrimoine de la dramaturgie, il vous fascine ?
Arnaud Malherbe. Oui, effectivement. On se retrouve avec un héros qui a l’appel du devoir mais le refuse car il ne veut pas accepter le don qui est le sien. L’enjeu est donc celui de l’acceptation mais aussi celui de l’apprentissage. Finalement, c’est un récit initiatique. Il n’y a rien de plus classique que cela. Les structures d’histoire, c’est un peu comme les planètes, elles sont toutes là, elles tournent et on s’en empare. Mais nous racontons toujours les mêmes histoires car nous sommes les mêmes humains. On a besoin de catharsis. De voir des gens faire ce qu’on ose pas faire ou qu’il ne faut pas faire. C’est une médecine. Il y a un patrimoine narratif qui se transmet à partir d’émotions ou de mouvements humains qui existent depuis toujours.
ILTVSW. Votre série ressemble à votre long métrage Belleville Story comme Ainsi Soient-ils ressemble au premier film de Rodolphe Tissot, son réalisateur. Peut-on parler de génération Arte ?
Arnaud Malherbe. Quand l’ancien patron de la fiction d’Arte François Sauvagnargues a été débarqué, je lui ai envoyé un message pour lui dire que je lui serai éternellement reconnaissant de m’avoir donné les clés. Pour moi, cela été capital. La vraie intelligence d’Arte a été d’avoir une politique de premiers films. C’est-à-dire de lancer des projets sans expliquer aux créateurs comment il faut faire les choses. Je me rappelle, quand je suis arrivé dans son bureau, le scénario était déjà écrit mais je n’avais pas de producteur. Il me demande : « Quel film voulez-vous faire ? » Moi, je lui raconte tout le truc pendant une demi-heure. Il me dit : « C’est bon ». Je lui réponds : « C’est bon, on se rappelle, on va retravailler le scénario, c’est ça ? » Il me dit : « Non, c’est bon, on fait le film et on va vous trouver un producteur ». J’ai halluciné. Le mec, c’était le messie, quoi.
ILTVSW. Cela semble être une tendance générationnelle, l’écriture et la réalisation sont étroitement associées dans les séries d’auteurs françaises. C’est très français de fonctionner ainsi par couples, ce n’est pas le cas aux États-Unis …
Arnaud Malherbe. Je pense que c’est la clé de tout. Nous nous rejoignons avec les Anglo-saxons sur la question du leadership et du continuum. Quelque soit le responsable, il faut qu’il y ait un responsable du début à la fin qu’il soit scénariste showrunner ou réalisateur associé. Sur la question du couple artistique, moi je suis meilleur quand je travaille avec Marion et elle est meilleure lorsqu’elle travaille avec moi. Nous sommes devenus une équipe de création.
ILTVSW. Votre écriture comme votre réalisation utilisent beaucoup le silence … Qu’y puisez-vous ?
Arnaud Malherbe. Je suis convaincu que les scènes les plus belles sont celles où il n’y a pas de mots ou très peu. Celles où l’on comprend les choses car elles sont chargées de ce qu’il y a eu avant et de ce qu’il y aura après … Comme dans la vie. J’aime aussi le sous-texte dans les dialogues. Quand on raconte ses émotions ou ce qui s’est passé comme c’est souvent le cas dans la fiction française, c’est du bavardage mais cela n’est pas intéressant. En revanche, quelqu’un qui dit : « Je te déteste » pour dire je t’aime, ça c’est intéressant. Il faut rassurer les chaînes pour qu’elles prennent conscience que de ne pas dire les choses cela peut être très bien. Comme nous sommes dans un processus de validation par l’écrit, nous sommes dans une survalorisation de l’écrit. Et, entre l’écrit qui doit devenir une image et le bavardage littéraire, il n’y a pas loin. Il faut vraiment faire attention. Par exemple, c’est très difficile à la lecture d’imaginer la puissance narrative d’une séquence où rien ne se dit. Alors que puisque c’est chargé de quelque chose qui se passe avant, cela devient très beau.
Le curseur n’est pas intellectuel, il est émotionnel
ILTVSW. Dans Chefs, on sent vraiment trois niveaux d’écriture le scénario, le tournage et le montage …
Arnaud Malherbe. J’ai vraiment découvert avec la série, l’importance des proportions. C’est vraiment un tiers, un tiers, un tiers. Tu es en permanence en train de réécrire. Les épisodes tels qu’ils seront diffusés mercredi n’ont pas été écrits comme cela. Certaines scènes ont disparu, d’autres sont résumées à un regard, d’autres encore ont été déplacées. Il y a un vrai travail de réécriture au stade du montage.
ILTVSW. Pouvez-nous parler un peu de ce troisième niveau d’écriture ?
Arnaud Malherbe. Nous nous sommes retrouvés en fin de tournage avec tellement de choses à raconter que nous étions comme pris dans un embouteillage de scènes qui passaient les unes après les autres. Il n’y avait pas de moments de respiration. Pour des raisons de temps et d’argent, on raye ces moments sur le tournage. Et finalement, ils manquent. Mes monteurs m’ont vite appelé pour m’alerter. Ils m’ont dit : « Il y a un problème, nous allons à cent mille à l’heure mais il n’y a pas temps pour que les personnages ou les spectateurs aient du recul ou d’espace poétique ». Nous nous sommes donc fait une liste de situations qui pouvaient être utilisées un peu partout dans la série. Je suis allé tourner des scènes qui n’avaient pas de place précise mais qui ont servi de matériau au montage.
ILTVSW. Comment êtes-vous finalement parvenu à forger l’identité de Chefs ?
Arnaud Malherbe. Au montage, on continue de tenter de s’approcher de ce qu’on voulait faire au départ. J’avais deux monteurs super, avec qui j’ai très bien travaillé. Lorsque l’on écrit quelque chose, on ne peut jamais avoir la certitude absolue de ce que ça va donner. Il y a ce dont on rêve, ce qu’on est capable d’écrire et ce que l’on tourne dans des contraintes artistiques, logistiques, financières … C’est un processus de mutation permanent. Alors, l’ADN de la série est comme une intime conviction. À un moment, on se dit, c’est ça, c’est juste, là ils jouent bien. C’est une projection d’émotions. Si une scène nous touche, elle a du sens. Très souvent chez les créateurs, on parle de mode de travail, de structure de narration et jamais, peut-être parce que cela va sans dire, de connexions émotionnelles avec le travail. Quand un créateur est connecté émotionnellement avec une scène, qu’elle fait sens pour lui, il doit tenir. Le curseur n’est pas pour moi intellectuel. Il est émotionnel.
Titre: Chefs
Créateurs: Marion Festraëts et Arnaud Malherbe
Cast: Anne Charrier, Annie Cordy, Joyce Bibring, Clovis Cornillac, Hugo Becker, Nicolas Gob, Robin Renucci, Zinedine Soualem
Diffuseur: France 2 chaque mercredi à 20h50
© 2015 ILTVSW – La reproduction partielle ou entière de cet entretien n’est pas légale sans l’accord préalable de ILTVSW.
La semaine prochaine dans ILTVSW … Oups, pas encore tranché, désolée.
Retrouvez ce billet dans la sélection hebdomadaire Séries Mania