Steve Levitan, le co-créateur et showrunner de Modern Family, a donné une conférence en avril dernier au MIPTV à Cannes.
ILTVSW a eu la chance de pouvoir le rencontrer et discuter avec lui de comédie, d’écriture et de l’air du temps.
ILTVSW. Vous avez dit avoir créé Modern Family à un moment de votre vie un peu difficile. La frustration est-elle selon vous un ingrédient indispensable à la création d’une bonne série ?
Steve Levitan. Je pense qu’être dans cet état d’esprit permet de remettre en cause les schémas classiques, de creuser plus profondément et d’être plus enclin à prendre des risques. C’est un bon cadre, cela permet de se débarrasser de tous les trucs que l’on fait d’habitude, que les gens attendent de nous ou même des méthodes traditionnelles et de se concentrer sur la vérité d’un projet. L’examiner sans prendre garde aux facteur extérieurs et se focaliser sur l’histoire, les personnages et réussir à exprimer ce que l’on veut dire.
ILTVSW. Cela signifie-t-il qu’un auteur doit sortir de sa zone de confort pour trouver une vérité ?
Steve Levitan. En dehors de sa zone de confort, on développe, je ne devrais pas le dire, mais vous savez, un évaluateur de conneries. Les idées qu’on ne remettrait pas en cause normalement paraissent inexactes ou approximatives. Etre sur ce terrain permet d’atteindre la vérité plus facilement et, certainement, d’avoir moins peur de creuser toujours plus loin pour la trouver.
Ecrire de la comédie, c’est mieux à plusieurs
ILTVSW. Vous avez affirmé que c’était compliqué d’écrire seul, la comédie rend-elle cela encore plus difficile ?
Steve Levitan. Absolument. Je pense qu’écrire de la comédie, c’est mieux à plusieurs. Modern Family ne serait pas ce qu’elle est, sans notre formidable groupe d’auteurs. Nous passons notre temps à tester des idées les uns sur les autres. L’un d’entre nous tente un truc et cela fait jaillir une idée chez un autre et un troisième construit dessus et finalement on obtient un résultat qu’une seule personne n’aurait pas imaginé. Rassembler tous ces cerveaux permet d’obtenir une écriture étonnante et différente. C’est la raison pour laquelle je pense que la comédie est mieux écrite en groupe. Cela dit, cela ne signifie pas que certains de mes films préférés n’ont pas été écrits par Woody Allen. Le partenariat entre deux auteurs fonctionne très bien aussi et puis il y a Tootsie. Certains d’entre ceux-là sont même parmi mes films préférés. Mais la plupart de mes séries préférées, dans la catégorie comédie, sont toutes le fruit du travail d’un groupe d’auteurs.
ILTVSW. True Detective a fait la preuve que d’excellentes dramas pouvaient être écrites par un seul auteur, c’est donc inconcevable avec la comédie ?
Steve Levitan. Carl Reiner s’en est sorti au début en écrivant 13 épisodes de The Dick Van Dyke Show à l’époque mais il a finalement eu recours à d’autres auteurs. Aujourd’hui, c’est très différent, vous savez … David Kelley l’a fait avec Ally McBeal mais c’est un cas particulier. L’écriture en équipe semble être la meilleure manière de travailler. Personne ne peut être assez drôle toute une saison et tout seul. Si vous recrutez les bonnes personnes, vous trouvez des auteurs qui ont des points forts que vous ne possédez pas et construisez à partir de cela. Cela vous permet de varier les compétences et les points de vue.
ILTVSW. Est-ce la raison pour laquelle Louis CK n’écrit que des saisons courtes pour sa série ?
Steve Levitan. C’est un bon exemple. Même s’il écrit avec Pam Adlon, sa série est le fruit de sa vision singulière et il est indiscutablement un homme très très drôle mais la série est devenue plus sombre. J’ai entendu dire que la dernière saison serait plus légère.
Je préfère échouer à cause de mes convictions que de celles d’un autre
ILTVSW. Devient-on meilleur dans l’écriture de blagues avec l’expérience ?
Steve Levitan. Vous développez certainement une sorte de radar même s’il n’a pas toujours raison. Il n’y a d’ailleurs pas de « bon » et de « mauvais ». En revanche, je peux dire que je préfère une blague à une autre contrairement aux autres auteurs dans la pièce. S’ils sont vraiment convaincus qu’ils ont raison, je les suis en général. Mais avec le temps, on développe un certain sens des choses. D’ailleurs l’essentiel du ton d’une série naît de cela. Il arrive que je ne comprenne pas une blague, qu’elle n’ait pas de réalité pour moi, c’est une question d’expérience et de confiance en soi, il est important de savoir se fier à son intuition. Il m’est arrivé de me tromper. Mais je préfère échouer à cause de mes convictions que de celles d’un autre.
ILTVSW. Quand l’intime est-il devenu possible à la télé ? Et que cela vous a-t-il permis ?
Steve Levitan. Je ne suis pas certain de savoir quand cela a commencé. je pense que The Office a joué un rôle considérable dans cette évolution. Je pense que cela a ouvert le chemin à notre série de nombreuses manières. Notamment en habituant les téléspectateurs au point de vue plus sensible et plus intime rendu possible par l’usage d’une seule caméra. Le câble a certainement joué un rôle important, aussi. L’usage d’une seule caméra a souligné le caractère plus faux des séries à multiples caméras. Certaines d’entre elles peuvent être très bonnes mais il est plus difficile de produire un effet de réalité et d’être organique dans ce dispositif qu’avec une caméra unique. Il y a un vieil adage qui prétend qu’une série à caméra unique n’a pas besoin d’être aussi drôle que les autres. C’est tout à fait faux et on l’a vu souvent à la télé il y a quinze ans. En réalité, c’est l’inverse. Il faut être plus subtil donc les blagues sont indispensables et la série doit être très rythmée mais l’auteur ne peut pas se reposer dessus et les acteurs ne doivent pas les surjouer. D’ailleurs, je dis toujours aux acteurs qui viennent en invités sur la série, car je n’ai plus à l’expliquer à nos acteurs, d’imaginer qu’ils sont à bord d’une voiture, pourchassés par la police, et qu’ils ouvrent la porte, laissent tomber quelque chose à l’extérieur et reprennent la route. Sans en faire toute une histoire.
ILTVSW. La fameuse opposition blagues vs émotions est toujours un grand dilemme pour les auteurs de comédies. Quand vous devez choisir que privilégiez-vous dans votre écriture ?
Steve Levitan. Je pense qu’il faut mériter les moments émotionnels en équilibrant avec des moments de pure comédie. C’est le secret. Si l’on compte trop sur l’une ou l’autre, il plus difficile de toucher le public. Des séries brillantes comme Seinfeld ou 30 Rock qui reposaient sur la comédie devaient être plus drôles que toutes les autres pour conserver leurs téléspectateurs. Une série qui est sentimentale et pas très drôle ne parviendra pas à les séduire. Mais il est possible de combiner les deux. Quand on y parvient, le public est plus réellement attaché à la série. Cela permet de l’emmener en promenade et de lui offrir toute une variété d’émotions. De : « Je ris, comme je ris, c’est génial ! » à tout à coup : « Waouh, les larmes me montent aux yeux » puis boum : « Quelle blague, je ris à nouveau ». Le public se sent comblé et cela permet de vraiment se connecter avec lui. Il est possible d’atteindre les deux objectifs en même temps mais s’il faut choisir, il faut d’abord être drôle et ensuite jouer la carte de l’émotion.
ILTVSW. Vous arrive-t-il de vous lever le matin et de ressentir la peur de ne plus être drôle, de perdre votre humour, votre talent pour la comédie ? Ou même de vous demander : serai-je capable d’être drôle aujourd’hui ?
Steve Levitan. Ce matin (rires). Il faut bien avouer que la comédie a tendance à être un truc de jeunes. Sans doute parce que la comédie ressemble beaucoup à la mode. Pour permettre aux téléspectateurs d’être vraiment scotchés, il faut avoir le Zeidgeist, savoir saisir l’air du temps et donc grandir dans son époque, y vivre et l’expérimenter pleinement et comme les autres. Lorsque l’on vieillit, on se sent plus isolé. Evidemment que cela me préoccupe et que j’ai conscience qu’à un moment donné ma comédie semblera un peu datée. Je pense que j’aurais toujours le sens de l’humour mais peut-être appartiendra-t-il à une autre ère ? J’y pense, oui. Et je fais au mieux pour demeurer pertinent et comprendre le monde dans lequel nous vivons. Je travaille avec des jeunes auteurs et j’ai le sentiment que cela nous permet de représenter des voix multiples et de n’exclure personne. Mais il arrivera un jour où personne ne voudra plus me parler (rires) … Il y a des gens formidables qui m’inspirent comme Norman Lear, que j’admire tellement, et qui arrivent à trouver différentes manière de rester dans l’air du temps.
Titre: Modern Family (2009 – )
Créateurs: Steve Levitan, Christopher Lloyd II
Cast: Ed O’Neill, Sofia Vergara, Julie Bowen, Ty Burrell, Jesse Tyler Ferguson, Eric Stonestreet, Sarah Hyland, Ariel Winter, Nolan Gould, Rico Rodriguez
Chaîne: ABC
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La semaine prochaine sur ILTVSW … Oups, pas encore tranché, désolée.