ILTVSW pilot crush : Bloodline

15 Mar

FRA/ENGLISH

Certains affirment que les auteurs racontent toujours la même histoire. Obsédés par l’obsession de leur vie. La série Bloodline, lancée par Netflix le 20 mars, ne fournira pas d’argument à ceux qui pensent le contraire. Les frères Kessler et leur vieux complice d’écriture Daniel Zelman se demandent une nouvelle fois dans leur série : qui est le coupable ? en entraînant le téléspectateur dans un thriller à la temporalité explosée. Comme dans Damages, il y aura du sang, beaucoup de secrets … et vous et moi, nous demandant constamment : « Attends, elle a fait ça ? » « Non, c’est pas possible, pas lui, pas ça ! » À cause des bonds dans le temps qu’ils utilisent de nouveau pour raconter leur histoire. Mais, cette fois-ci, leur arène n’est pas un cabinet d’avocat, leur arène est la famille. Une famille. Les Rayburn.

Certains ne le disent pas mais le pensent très fort, nous, les téléspectateurs regardons encore et toujours les mêmes histoires. Obsédés par les enjeux universels que sont l’amour, la haine, la confiance, la trahison. Et le coach Taylor. C’est ce qui a probablement décidé les créateurs de la série à offrir à Kyle Chandler le rôle de John Rayburn. Shérif local et fils bien-aimé d’une famille qui possède un bout de paradis dans les Keys, en Floride. Dès les premiers instants, sa voix, au timbre chaleureusement caractéristique, nous donne l’agréable sensation, et l’espoir fou, de voir Mr T revenir. Les auteurs, ces coquins, ont rendu John Rayburn très semblable. Enfin, presque. Enfin, pas tout à fait. Trop tard, on est piégé !

En fait, John Rayburn serait plutôt un cousin de Eric Taylor. Le même genre de gars qui prend bien soin de sa famille. Mais comme sa famille doit faire face à des problèmes qui rappellent une autre partie du Texas, Dallas plus que Dillon, le couz’ prend finalement de mauvaises décisions. Comme si dans le monde des Kessler/Zelman un brave homme ne pouvait pas demeurer fidèle à sa ligne de conduite. Malgré son motto : Clear eyes, Full hearts, Can’t lose.

Et nous, nous plongeons dans Bloodline pour les mêmes raisons que nous regardions Friday Night Lights. La série nous rappelle combien nous ne sommes rien sans les autres. Mais adopte, pour le faire, un point de vue sombre. En nous montrant ce qui arrive quand une communauté est dysfonctionnelle. Les Rayburn peuvent bien vivre sur une île magnifique. Ils peuvent bien avoir beaucoup plus que Tami et Eric Taylor. Mais leur bout de paradis est pourri de l’intérieur. Il est aisé de deviner que ça n’a pas dû rigoler beaucoup à la table du dîner. Et que les amis des enfants n’étaient pas franchement bienvenus. Sombre endroit que le foyer des Rayburn.

Alors qu’il était extrêmement divertissant de regarder la brillante et folle avocate Patty Hewes détruire ses adversaires dans Damages, j’ai le sentiment que mon crush ne pourrait n’être que furtif pour Bloodline. Dans le monde fou d’aujourd’hui, la famille est l’ultime refuge. Et les personnages dans Bloodline, ressemblent tellement à cette part de nous-mêmes que nous n’aimons pas et passons notre temps à combattre qu’ils ne nous offrent pas la distance distrayante que nous procuraient le méchant JR ou la naïve Sue Ellen. Ils sont si basiquement faibles, médiocres ou bousillés qu’on ne peut pas exclure qu’ils fassent naître, chez certains d’entre nous, une énorme envie de (re) commencer FNL.

La semaine prochaine sur ILTVSW … Oups, pas encore tranché, désolée.

 

© Netflix

© Netflix

 

Titre/Title : Bloodline
Créateurs/Creators : Glenn Kessler, Todd Kessler, Daniel Zelman
Cast : Kyle Chandler, Ben Mendelsohn, Linda Cardellini, Sam Shepard, Sissy Spacek, Chloë Sevigny.
Maths : 1 saison/season
Chaîne/Network : Netflix

They say writers keep telling the same story over and over again. Obsessed by their lifetime’s obsession. Bloodline, debuting March 20 on Netflix, will not prove wrong those who think that way. The Kessler brothers with their longtime writing buddy Daniel Zelman are doing a whodunit back and forth thriller again. Like in their previous show Damages there will be blood, a lot of secrets and you and me constantly wondering : « Wait, she did that ? » « No, come on, he did not ! » Because of the flash forward mode of story telling they are using again. But this time their arena is not the workplace. Their arena is the family. A family. The Rayburn family.

They don’t say but they know that, we, viewers keep watching the same stories over and over again. Obsessed by universal issues such as love, hate, trust, betrayal. And coach Taylor. That’s probably what led the creators to cast Kyle Chandler for the part of John Rayburn. Local sheriff and beloved son of a family that owns a piece of paradise in the Florida keys. From the very beginning of the show, we have the comfort feeling, and the foolish hope, that we are going to get the chance to spend time again with mister T. The writers have made John Rayburn very much coach Taylor-ish. Almost. Not really. Too late, we are hooked.

In fact, John Rayburn is more of a cousin of Eric Taylor. The same type of guy who takes good care of his family. But because of family’s issues that remind us of another part of Texas, Dallas much more than Dillon, he finally makes wrong decisions. Just as if in the Kessler/Zelman’s world a good man couldn’t win not even when he has clear eyes, a full heart and is convinced that he can’t lose.

And we watch Bloodline for the exact same reason we watched Friday Night Lights. It reminds us how important it is to count on each other. But it does it in a dark way. Showing us what happens when the community is dysfunctional. The Rayburn may live on a beautiful island. They may have a lot more money than Eric and Tami Taylor. But their piece of paradise is rotten from the inside. We can easily guess that there were no happy family dinners when the siblings were kids. The door wasn’t probably open to their friends. The Rayburn household was a dark place.

As much as it was fun to follow crazy and brilliant Patty Hewes, the devilish lawyer, destroying her opponents in Damages, we have the feeling that our crush may not last for Bloodline. In our messy world, family is the ultimate shelter. And the characters of Bloodline look so much like the parts of us that we don’t like and keep fighting, meaning no one in the show is JR bad or Sue Ellen naive but just regular weak and mediocre or fucked up, that some of us might just prefer to watch FNL all over again.

Next week in ILTVSW … Oops, not decided yet, sorry.

ILTVSW pilot crush : American Crime

8 Mar

FRA/ENGLISH

Un pilote formidable, au fait, c’est quoi ? Il y a deux réponses à cette question. Si la série est ce que l’on appelle en France une série d’auteur, référence directe au cinéma du même nom, il s’agira d’un épisode, diffusé sur une chaîne du câble, explorant une nouvelle manière d’écrire ou de mettre en scène au service d’une prémisse pointue souvent perturbante et toujours singulière. Une proposition artistique radicale miroir du passé de son créateur. Combien d’années Matthew Weiner est-il resté en tête à tête avec Don Draper avant de se voir offrir la possibilité de lui donner vie et combien de saisons a-t-il passées depuis en sa compagnie ? Mais un pilote formidable peut aussi être un épisode dans lequel l’ego de l’auteur n’est pas central. Un objet moins intime pour lui dans lequel seul le sujet est la star, sans feux d’artifices, sans glamour, ni coquetteries d’écriture.

American Crime, qui débute mardi en France sur Canal Plus Séries, appartient à la seconde catégorie. Cela ne signifie pas qu’elle n’a pas d’objectif créatif. John Ridley, son auteur, Oscar de la meilleure adaptation pour le scénario de 12 years a slave, a au contraire beaucoup à exprimer. Il a décidé de nous transporter au cœur d’un crime américain. Un crime dont la victime est blanche et dont les suspects ne le sont pas. Autrement dit, de l’examiner au travers du prisme racial. Ce n’est pas au crime que s’intéresse Ridley. Son anthologie ne zoomera donc pas sur le point de vue des flics ou des avocats. Ce qui passionne Ridley, c’est l’onde de choc qui va frapper ceux dont la vie va changer à jamais. Les proches de la victime. Les proches des suspects. La communauté à laquelle ils appartiennent.

Une bombe à retardement psychologique et sociétale 

Dès la première minute, American Crime opère comme une bombe à retardement psychologique et sociétale. Un parti pris finement souligné par des acteurs qui font un travail tout en retenue sur l’émotion forcément hystérique qui submerge les personnages qu’ils incarnent. Comment résister à une pareille pression ? Peut-on échapper au poids des préjugés ? Et la race ? Et la religion ? Et les classes ? Trois mots très chargés aux États-Unis.

Pour essayer d’explorer ces enjeux, la série se concentre sur l’infiniment petit. On a alors l’intuition qu’American Crime a l’ambition de parler des États-Unis d’aujourd’hui en posant une question à la fois fondamentale et culottée : est-il possible de vivre ensemble ? « Cela a été passionnant pour moi d’essayer de créer une série sur la foi, dit John Ridley dans une interview accordée à Variety. La foi dans les systèmes, la foi dans la religion, la foi dans l’autre ».

Vue d’ici, American Crime nous rappelle tristement que ce n’est pas demain, ni après-demain, que nous pourrons regarder une série française comme celle-là sur une chaîne généraliste. Les diffuseurs, qui savent mieux que personne ce qui est bon pour nous, ont décidé que nous n’apprécierions pas de nous plonger dans une série qui questionne notre société et les challenges qu’elle affronte. C’est vrai, comme si nous en avions besoin …

La semaine prochaine sur ILTVSW … Oups, pas encore tranché, désolée.

 

© ABC

 

Titre/Title : American Crime
Créateur/Creator : John Ridley
Cast : Felicity Huffman, Timothy Hutton, Penelope Ann Miller, W. Earl Brown, Benito Martinez, Caitlin Gerard, Regina King.
Chaîne/Network : ABC, Canal Plus Séries (France)

What is a great pilot ? Basically there are two answers to that question. If the show is what we would call in France an author show linking TV to the author movie tradition, it’s going to be an episode exploring new ways of writing and/or directing with an edgy or disturbing but always unique premise. Often radical TV, it says a lot about the creator personal backgrounds. Those are mainly cable shows. Think of how long Matthew Weiner lived with Don Draper before actually be given the possibility of bringing him to life and how many years he has spent with him since … 

But a great pilot can also be an episode where the writer ego is not central. A far less intimate matter. An episode where the subject is the star without the fireworks, the glam or the show off of its writing. American Crime belongs to the second category. It doesn’t mean that the show, debuting this tuesday in France on Canal Plus Séries, has no creative purpose. John Ridley, his writer, best adapted screenplay Oscar for 12 years a slave, has on the contrary a lot to say. He has decided to walk us through an american crime where the victim is white and the suspects are not. In others words through the prism of race. Ridley really doesn’t care about the crime itself. So he is not telling his anthology story from the cops or the lawyers point of view but from the one of those whose lives are directly impacted. The victim’s people. The suspect’s people. And the community they live in. 

A psychological and societal ticking time bomb

From minute one, American Crime is a sort of a psychological and societal ticking time bomb. Its cast is doing a great job working on its inner emotions. How do you resist under that kind of pressure ? Can you free yourself from the weight of prejudices ? What about race ? What about religion ? What about class ? Three words highly charged in America. The show is focusing on the small scale. And we have the intuition it will try to portray America nowadays asking an essential and daring question : can people still live together ? “That was very exciting to me, to try to do a series that was about faith: faith in systems, faith in religion, faith in each other », said Ridley about his ambition in Variety

Viewed from France, American Crime also sadly reminds us that it’s not tomorrow or even the day after, that we are going to see a show like that on French TV because broadcasters, who know better than ourselves what is good for us, have decided that we wouldn’t like to watch a series that is questioning our society and the challenges it faces. We really don’t need that, do we?

Next week in ILTVSW … Oops, not decided yet, sorry.

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ILTVSW guest star: Arnaud Malherbe, le co-créateur de Chefs

8 Fév

FRA/ENGLISH

Arnaud Malherbe, coauteur avec Marion Festraëts, de la série Chefs dont il signe également la réalisation a accepté l’invitation de ILTVSW à l’occasion du lancement de la série mercredi soir sur France 2. Du concept au montage, de la création des personnages au tournage, de l’arrière-cuisine à l’influence de Star Wars, Arnaud Malherbe raconte comment sa première série a vu le jour.

To my readers, exceptionally ILTVSW will only be French speaking this week. The french writer and director Arnaud Malherbe co-creator with Marion Festraëts of the TV show Chefs (France 2), exploring the French cuisine from behind the scenes like a Greek tragedy, is the guest star of the blog today. But as soon as next week things will be back to normal meaning French & English.

 

 

ILTVSW. Il n’y a ni flics, ni médecins, ni avocats dans Chefs. Pour un créateur emprunter un chemin artistique en dehors des sentiers battus c’est-à-dire sans pouvoir se raccrocher à un genre fédérateur, c’est grisant ou au contraire impressionnant ?
Arnaud Malherbe. De manière étrange, nous ne nous sommes pas vraiment posés la question de la prise de risque. Nous sommes restés connectés à notre désir, qui n’était pas celui de faire une série et de trouver à quel sujet nous allions nous attaquer. C’est venu beaucoup plus naturellement. Avec Marion, ma compagne, avec qui j’ai créé Chefs, nous nous étions retrouvés devant des documentaires qui traitaient du travail d’une brigade dans un grand restaurant. Cela nous a tout de suite paru être un théâtre dramaturgique extrêmement puissant. Il y avait là des personnages avec des destins très différents, des archétypes presque. Nous avons aussi senti que c’était un univers extrêmement martial, guerrier, hiérarchisé avec des rapports très tendus, parfois violents et même violents physiquement. Mais, c’était également un espace de création, de passion, d’art, d’une certaine façon. La contradiction et la force de ces deux constats nous offraient un espace dramatique dingue à développer. Ce qui nous a sidéré, c’est qu’une série sur le sujet n’existait pas encore alors que la cuisine est l’un des marqueurs culturels les plus forts de l’identité française. C’est très significatif de la manière dont les diffuseurs ne s’emparent pas de ce que devrait être la fiction française. Ils vont faire la 75e série de flic mais pas s’attaquer à un espace socio culturel hors formule procédurale ou comédie familiale pure. C’est un parti pris qui reste très très rare.

 

Faire Star Wars en cuisine 

 

ILTVSW. Une chose est de prendre la mesure de la richesse d’un sujet, une autre est de réussir à en faire une série …
Arnaud Malherbe. Je pense que nous avons sous-estimé la difficulté du projet. Dans Chefs, pour nous les créateurs, il ne pouvait pas y avoir de zone de confort puisqu’il n’y avait pas d’enjeux de vie et de mort. Il fallait inventer une promesse pour le téléspectateur. C’est extrêmement difficile. Cela a mis du temps. Il y a eu une évolution dans la nature même de la série liée aux échanges avec la production et la chaîne. Nous sommes partis de quelque chose qui, à la base, était pour nous plus choral, plus naturaliste et plus social même si nous avions déjà un désir de décalage poétique. Ce désir a rencontré une contrainte éditoriale et industrielle de France 2 qui souhaitait un parcours narratif beaucoup plus resserré autour de deux personnages, de plus feuilletonnant, plus populaire et moins éclaté. Nous avons pris cette direction et nous assumons tout, bien sûr.

ILTVSW. Très rapidement, en regardant la série, on ressent l’influence de la tragédie grecque. Une fatalité moderne à la Star Wars imprime la série … Prendre ce chemin a-t-il été une manière de surmonter le fait de ne pas vous inscrire dans un genre télévisé ?
Arnaud Malherbe. C’est très juste, dans l’esprit, il y a de la tragédie grecque parce qu’ il a fallu trouver un véhicule narratif pour entraîner les téléspectateurs. Et pour notre génération pop, l’une des références est Star Wars qui a vraiment imprimé notre imaginaire. Dark Vador, Luke, l’empereur nous ont aidé à déterminer le comportement de nos personnages. Comme nous n’étions pas dans un cadre rassurant, nous avons été obligés de retrouver des référents sur lesquels nous appuyer pour écrire. Luke représente, par exemple, l’appel du devoir que l’on commence par refuser … Très vite, le téléspectateur peut se dire : « Ça, je l’ai déjà vu, cela m’a ému, je l’ai compris, cela a du sens. » Il n’était pas question de copier mais de s’appuyer sur le même type de mouvements dramatiques et d’émotions. Par ailleurs, se dire : « On va faire Star Wars en cuisine », c’est hyper excitant !

 

 

ILTVSW. Ce travail sur les personnages est capital pour la réussite d’une série … Comment l’avez-vous abordé ?
Arnaud Malherbe. Nous voulions travailler sur des archétypes. Le chef capitaine d’un bateau pirate, le petit gars qui refuse son don travaillé par un trauma d’enfance, le grand méchant loup … Nous avions envie de jouer avec tout cela. Nous voulions nous inventer une fantasmagorie. Nous sommes partis de l’univers pour aller aux personnages. Cela a été assez long. Nous avons mis du temps à trouver le mouvement général de l’histoire. L’une des préoccupations qui a dirigé notre écriture était de faire un feuilleton populaire. Dans un feuilleton populaire, il y a des secrets de famille, on aime, on se déchire, on trompe, on ment …

ILTVSW. On retrouve dans Chefs la fameuse question du rapport père-fils déjà présente dans votre premier long métrage Belleville Story. C’est l’un des sujets majeurs du patrimoine de la dramaturgie, il vous fascine ?
Arnaud Malherbe. Oui, effectivement. On se retrouve avec un héros qui a l’appel du devoir mais le refuse car il ne veut pas accepter le don qui est le sien. L’enjeu est donc celui de l’acceptation mais aussi celui de l’apprentissage. Finalement, c’est un récit initiatique. Il n’y a rien de plus classique que cela. Les structures d’histoire, c’est un peu comme les planètes, elles sont toutes là, elles tournent et on s’en empare. Mais nous racontons toujours les mêmes histoires car nous sommes les mêmes humains. On a besoin de catharsis. De voir des gens faire ce qu’on ose pas faire ou qu’il ne faut pas faire. C’est une médecine. Il y a un patrimoine narratif qui se transmet à partir d’émotions ou de mouvements humains qui existent depuis toujours.

ILTVSW. Votre série ressemble à votre long métrage Belleville Story comme Ainsi Soient-ils ressemble au premier film de Rodolphe Tissot, son réalisateur. Peut-on parler de génération Arte ?
Arnaud Malherbe. Quand l’ancien patron de la fiction d’Arte François Sauvagnargues a été débarqué, je lui ai envoyé un message pour lui dire que je lui serai éternellement reconnaissant de m’avoir donné les clés. Pour moi, cela été capital. La vraie intelligence d’Arte a été d’avoir une politique de premiers films. C’est-à-dire de lancer des projets sans expliquer aux créateurs comment il faut faire les choses. Je me rappelle, quand je suis arrivé dans son bureau, le scénario était déjà écrit mais je n’avais pas de producteur. Il me demande : « Quel film voulez-vous faire ? » Moi, je lui raconte tout le truc pendant une demi-heure. Il me dit : « C’est bon ». Je lui réponds : « C’est bon, on se rappelle, on va retravailler le scénario, c’est ça ? » Il me dit : « Non, c’est bon, on fait le film et on va vous trouver un producteur ». J’ai halluciné. Le mec, c’était le messie, quoi.

 

 

ILTVSW. Cela semble être une tendance générationnelle, l’écriture et la réalisation sont étroitement associées dans les séries d’auteurs françaises. C’est très français de fonctionner ainsi par couples, ce n’est pas le cas aux États-Unis …
Arnaud Malherbe. Je pense que c’est la clé de tout. Nous nous rejoignons avec les Anglo-saxons sur la question du leadership et du continuum. Quelque soit le responsable, il faut qu’il y ait un responsable du début à la fin qu’il soit scénariste showrunner ou réalisateur associé. Sur la question du couple artistique, moi je suis meilleur quand je travaille avec Marion et elle est meilleure lorsqu’elle travaille avec moi. Nous sommes devenus une équipe de création.

ILTVSW. Votre écriture comme votre réalisation utilisent beaucoup le silence … Qu’y puisez-vous ?
Arnaud Malherbe. Je suis convaincu que les scènes les plus belles sont celles où il n’y a pas de mots ou très peu. Celles où l’on comprend les choses car elles sont chargées de ce qu’il y a eu avant et de ce qu’il y aura après … Comme dans la vie. J’aime aussi le sous-texte dans les dialogues. Quand on raconte ses émotions ou ce qui s’est passé comme c’est souvent le cas dans la fiction française, c’est du bavardage mais cela n’est pas intéressant. En revanche, quelqu’un qui dit : « Je te déteste » pour dire je t’aime, ça c’est intéressant. Il faut rassurer les chaînes pour qu’elles prennent conscience que de ne pas dire les choses cela peut être très bien.  Comme nous sommes dans un processus de validation par l’écrit, nous sommes dans une survalorisation de l’écrit. Et, entre l’écrit qui doit devenir une image et le bavardage littéraire, il n’y a pas loin. Il faut vraiment faire attention. Par exemple, c’est très difficile à la lecture d’imaginer la puissance narrative d’une séquence où rien ne se dit. Alors que puisque c’est chargé de quelque chose qui se passe avant, cela devient très beau.

 

Le curseur n’est pas intellectuel, il est émotionnel 

 

ILTVSW. Dans Chefs, on sent vraiment trois niveaux d’écriture le scénario, le tournage et le montage …
Arnaud Malherbe. J’ai vraiment découvert avec la série, l’importance des proportions. C’est vraiment un tiers, un tiers, un tiers. Tu es en permanence en train de réécrire. Les épisodes tels qu’ils seront diffusés mercredi n’ont pas été écrits comme cela. Certaines scènes ont disparu, d’autres sont résumées à un regard, d’autres encore ont été déplacées. Il y a un vrai travail de réécriture au stade du montage.

ILTVSW. Pouvez-nous parler un peu de ce troisième niveau d’écriture ?
Arnaud Malherbe. Nous nous sommes retrouvés en fin de tournage avec tellement de choses à raconter que nous étions comme pris dans un embouteillage de scènes qui passaient les unes après les autres. Il n’y avait pas de moments de respiration. Pour des raisons de temps et d’argent, on raye ces moments sur le tournage. Et finalement, ils manquent. Mes monteurs m’ont vite appelé pour m’alerter. Ils m’ont dit : « Il y a un problème, nous allons à cent mille à l’heure mais il n’y a pas temps pour que les personnages ou les spectateurs aient du recul ou d’espace poétique ». Nous nous sommes donc fait une liste de situations qui pouvaient être utilisées un peu partout dans la série. Je suis allé tourner des scènes qui n’avaient pas de place précise mais qui ont servi de matériau au montage.

ILTVSW. Comment êtes-vous finalement parvenu à forger l’identité de Chefs ?
Arnaud Malherbe. Au montage, on continue de tenter de s’approcher de ce qu’on voulait faire au départ. J’avais deux monteurs super, avec qui j’ai très bien travaillé. Lorsque l’on écrit quelque chose, on ne peut jamais avoir la certitude absolue de ce que ça va donner. Il y a ce dont on rêve, ce qu’on est capable d’écrire et ce que l’on  tourne dans des contraintes artistiques, logistiques, financières … C’est un processus de mutation permanent. Alors, l’ADN de la série est comme une intime conviction. À un moment, on se dit, c’est ça, c’est juste, là ils jouent bien. C’est une projection d’émotions. Si une scène nous touche, elle a du sens. Très souvent chez les créateurs, on parle de mode de travail, de structure de narration et jamais, peut-être parce que cela va sans dire, de connexions émotionnelles avec le travail. Quand un créateur est connecté émotionnellement avec une scène, qu’elle fait sens pour lui, il doit tenir. Le curseur n’est pas pour moi intellectuel. Il est émotionnel.

Titre: Chefs
Créateurs: Marion Festraëts et Arnaud Malherbe
Cast: Anne Charrier, Annie Cordy, Joyce Bibring, Clovis Cornillac, Hugo Becker, Nicolas Gob, Robin Renucci, Zinedine Soualem
Diffuseur: France 2 chaque mercredi à 20h50

© 2015 ILTVSW – La reproduction partielle ou entière de cet entretien n’est pas légale sans l’accord préalable de ILTVSW.

La semaine prochaine dans ILTVSW … Oups, pas encore tranché, désolée.

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ILTVSW craque aussi pour/also loves … Gomorra

25 Jan

FRA/ENGLISH

De temps en temps, la télé devrait oublier les concepts surstylisés, trop de sous-texte et même Freud et son travail. Ne vous inquiétez pas, mon deuxième post de 2015 ne sera pas l’apologie d’une écriture fade et/ou dénuée de fond. Disons que je suis d’humeur à regarder Zola. En langage moins crypté, je prends grand plaisir, ces jours-ci, à voir la réalité sur le petit écran. La réalité telle que définie par Le Petit Robert. Soit : « Caractère de ce qui existe en fait (et qui n’est pas seulement une invention, une illusion ou une apparence) ». Une définition qui prouve que les Real Housewives de n’importe quelle ville sont une imposture cathodique et pas seulement car aucun être humain ne peut survivre plus d’une journée dans de telles panoplies. Autrement dit, la téléréalité a tout de faux. Le réalisme est le vrai cadeau. Comme le démontre Gomorra mon crush sériel de la semaine. Une série sur la mafia napolitaine qui donne une troisième vie au livre de l’Italien Roberto Saviano.

Ne vous méprenez pas, je considère toujours que Tony Soprano et sa famille sont, dans leur genre, l’une des sept merveilles du monde télévisé. Mais Gomorra apporte quelque chose qui n’appartient qu’à elle. Ses scénaristes ont pris une décision très rare à la télévision. Peut-être même inédite. Aucun des personnages dans leur série n’est aimable. Le Mal est le sujet. Ses personnages l’exsudent. Contrairement au traitement de The Wire, monumentale oeuvre réaliste unique en son genre, qui offrait, malgré tout, la possibilité de s’identifier ou, au moins, de vibrer pour quelques uns d’entre eux comme Jimmy McNulty, le flic cabossé.

Dans Gomorra, il n’y a de place ni pour les sentiments, ni pour l’empathie. Stefano Bises, qui a dirigé l’écriture, a confié à ILTVSW : « Nous avons voulu faire un voyage dans le Mal. Nous ne voulions pas utiliser le Bien pour raconter le Mal. C’est le contraire de ce qui se fait d’habitude à la télévision italienne qui a peur des messages négatifs et de leur impact sur les audiences. »

Paradoxalement, ce qui est formidable dans l’écriture de Gomorra, c’est que l’écriture n’est pas une fin en soi. Le sujet est la raison d’être de la série. L’unique objectif est de montrer la Camorra comme l’entreprise qu’elle est. De mettre des images sur les rues de Scampia, l’un des quartiers les plus pauvres de Naples, rongées par la criminalité organisée. L’humaine inhumanité que ses habitants expérimentent, chaque jour, du début à la fin de leur existence. Sans aucune porte de sortie. Prisonniers de la fatalité. Regarder Gomorra, ce n’est pas les aimer. Ni même les comprendre. L’infiniment petit – les personnages – est simplement le meilleur moyen de raconter cette terrible réalité.

La semaine prochaine sur ILTVSW … Oups, pas encore tranché, désolée.

 

Marco d’Amore (Ciro)

 

 

Titre/Title: Gomorra (2014)
Créateurs/Creators: Roberto Saviano, Stefano Bises, Giovanni Bianconi, Leonardo Fasoli, Ludovica Rampoldi.
Cast: Marco d’Amore, Fortunato Cerlino, Maria Pia Calzone, Salvatore Esposito, Marco Palvetti, Domenico Balsamo, Enzo Sacchettino, Elena Starace.
Maths: 12 épisodes/episodes
Chaîne: Sky Cinema en France Canal Plus

 

From time to time, TV should forget about highly stylized concepts, too much subtext and even about Freud and his work. Do not worry my second post of 2015 is not going to be an apology for tasteless and/or meaningless writing. Let’s just say that I am in a Zola mood. In less cryptic words, I feel like watching reality on small screen these days. Reality as in the Oxford dictionary. « The world or the state of things as they actually exist, as opposed to an idealistic or notional idea of them ». A definition that makes Real Housewives of whatever town a total fraud not only because no one could survive more than one day dressed like that. Reality TV is totally missing the point. Realism is the real treat. As demonstrates my this week TV crush Gomorra.

A mafia show from Roberto Saviano’s book. Don’t get me wrong I still think of Tony Soprano’s family as one of the Seven Wonders of the TV world in its genre. But Gomorra brings something of its own. Its writers have made a very rare decision on TV if not a premiere. None of the characters in the show are likable. Evil is the subject. So devilish the characters are. Unlike in The Wire, the major and unique realistic show, in which we still could relate on some level to, say, a broken man as Jimmy McNulty. Or at least feel for him. In Gomorra there is just no room for feelings or empathy.

Stefano Bises, who directed the writing, told ILTVSW : « The show is a trip to Evil. We didn’t want to use the Good to tell the evil. We wanted to do the opposite of what is usually shown on Italian TV where the message must be positive in order to preserve the ratings. »

Paradoxically, the great thing in Gomorra‘s writing is that the writing is not the point. The subject is the point. Mafia as a company is the point. The streets of Scampia one of Naples’s poorest neighborhood are the point. The human inhumanity that people experience over there every day from the beginning to the end of their life is the point. With no exit possibility. Prisoners of fate. Watching Gomorra is not about liking them. Not even about understanding them. The small – the characters – is just the best way to draw the terrible big picture.

Next week in ILTVSW … Oops, not decided yet, sorry.

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ILTVSW craque aussi pour/also loves … Togetherness

18 Jan

FRA/ENGLISH

Bonne nouvelle, les gens ! Le fameux « Il n’y a pas de problème car, devinez quoi, il y a toujours une solution » n’est pas uniquement le pitch du prochain hit de Noël de Walt Disney mais, peut-être, la vérité de l’année. Ou, au moins, du mois de janvier. Et même si cela ne devait concerner que la semaine à venir, cela serait, de toute manière, positif. Prenons donc un moment pour l’apprécier.

Surtout ceux d’entre nous qui sommes à la fois tout excités par la nouvelle saison de Girls et totalement déprimés car ce retour signifie également que la série aura une fin, un jour. Et que, c’est mathématique, plus nous regardons d’épisodes plus nous nous rapprochons de l’épilogue. Constat qui subséquemment (oui, j’ai fait mes devoirs pendant les vacances de Noël) implique que nous allons devoir accepter de retourner à la réalité de notre solitaire existence bancale (*) et essayer, tant bien que mal, de survivre dans notre monde étrange. Une perspective tellement triste que des larmes de mélancolie ont noyé celles de mon rhume de saison lorsque j’en ai pris conscience.

Mais si, malgré tout (oui, le changement climatique est une chose effrayante mais ce n’est pas ce que j’ai en tête), j’ai réussi à revenir de vacances avec un grand sourire sur le visage, c’est parce que j’ai une nouvelle formidable à partager. Quand nous aurons fini de nous apitoyer sur notre sort devant une bande de futurs trentenaires, nous aurons le plaisir fou de nous plonger dans les bizarreries de quasi quadragénaires.

Grâce à Togetherness, la nouvelle série HBO, croyez-moi, il n’y aura bientôt rien de plus sexy que de fêter ses 70 ans malgré les dommages collatéraux (mon intuition me dit que l’équation seins/pesanteur est la partie positive du problème). Principalement car, avouons-le, depuis que Carrie Bradshaw a pris sa retraite sur HBO, le sexe n’est plus un truc rigolo. Pour être précis, plus un truc rigolo à pratiquer. Pour une fois, nous le héros de notre vie > le héros du petit écran. Ce qui est assez rare et enfin équitable. En gros, dans Togetherness, notre vie pourrie n’est rien à côté de la sienne. Cela fait un bien fou. Surtout, lorsque l’un des personnages principaux en question est interprété par la divine Amanda Peet.

La meilleure nouvelle apportée par la série est qu’en dépit de la tristesse inhérente (les devoirs, aussi) à l’âge adulte, nous avons toujours l’opportunité d’expérimenter des petits plaisirs de la vie dont nous n’imaginions même pas l’existence. Comme celui de shooter dans une canette vide sur une pelouse entourés de nos amis sous Prozac (ou bientôt) et sans les enfants.

Il faut que tout change pour que rien ne change. Cette réplique célèbre d’un film inoubliable ne doit être vraie qu’envisagée à grande échelle. Car, du point de vue de l’intime, inutile de nous fatiguer à essayer. Toute tentative n’aura aucun effet, positif ou négatif, sur ce qu’est intrinsèquement (😉) l’expérience humaine. Grâce à Togetherness et aux frères Duplass, ses créateurs, nous savons que les truc pourris du quotidien sont la chose que nous avons en commun à 20, 33 ou 42 ans. Rien ne changera cela. Mais cela n’est pas forcément une mauvaise nouvelle car, au bout du compte, c’est aussi cela qui nous rassemble.

La semaine prochaine dans ILTVSW … Oups, pas encore tranché, désolée.

(*) Chéri, pour mon premier post de l’année 2015, je tente la figure de style. Il s’agit là d’une hyperbole. Elle se classe dans la catégorie des amplifications. Rien de personnel, donc.

 

Togetherness © HBO

 

 

Titre/Title: Togertherness (2015)
Créateurs/creators: Jay Duplass & Mark Duplass
Cast: Amanda Peet, Melanie Lynskey, Mark Duplass, Steve Zissis
Maths: 8 épisodes/episodes
Chaîne/Network: HBO, OCS en France

Good news, people ! The « there is no such thing as a problem because guess what, there is always a solution » is actually not only the pitch of the Walt Disney next Chrismas hit but maybe the truth of the year. Or at least of the month. Anyway, it is good news even if just for the week to come so let’s appreciate it. 

For all of us who are both totally excited by the new season of Girls and totally depressed because it means that the show is going to end one day. And mathematically the more episodes we watch, the closer we get to its end. Which subsequently (yes, I did some homework during Christmas break) means that we are going to go back to our fucked up people loneliness (*) trying to make it through the day in our weird world. And that is such a sad perspective that tears of melancholia drowned the tears from my cold when I realized it. 

But if, despite of everything (yes climate change is very frightening but, no, it is not that), I managed to comeback from my vacation with a large smile on my face, it’s because I have an awesome news to share. When we will be done feeling sorry for ourselves in front of a bunch of twenty close to thirty something, we will have the insane pleasure to dive into the forty something weirdness. Thanks to Togetherness, the new HBO show, believe me there will soon not be sexier perspective than the one of reaching 70 despite the collateral damages (my intuition tells me that the boobs issue is the best part of the problem). Mainly because let’s face it on HBO since Carrie Bradshaw retired sex is not anymore a funny fun thing. Meaning it is still funny to watch. Not to experience. And that’s only fair that for once we the heroes of your own life > the hero of the small screen. Meaning that our shitty life is nothing compared to his. It feels great. Especially when one of the characters is played by the absolutely perfect Amanda Peet. 

The best news is that despite the inherent (homework too) sadness of the adult experience we still get to enjoy small things in life that we do not even imagine. Like shooting in a can on a lawn with depressed (or soon to be) friends and without the kids. 

Things need to change in order that nothing changes. A powerful line in an unforgettable movie. Well, that must be a large scale truthness. Because on the intimate level don’t bother to make a change, man. It will have zero effect good or bad on what is intrinsically (😉) the human experience. Thanks to Togetherness and the Duplass brothers, its creators, we now know that this all daily shit is the one thing we have in common at 20, 33 or 42. Nothing is going to change that. But it doesn’t have to be bad news because, at the end of the day, it’s what brings us together. 

Next week in ILTVSW … Oops, not decided yet, sorry.

(*) Darling, in 2015, I am trying something new. It’s a stylistic device called an hyperbole. The point is to exaggerate. It is not to be taken personally.